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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

indolent ni de caprice, les esprits applicables, d’appétit judicieux, empressés de mordre d’abord à quelque pièce de bonne digestion, pourront se demander souvent à quoi bon ces raffinemens de coup d’œil sur des riens, ces jeux de l’ongle sur des écorces, ces dégustations exquises sur le plus rare des Ana ; à quoi bon de savoir si la sphère au frontispice est un insigne tout spécial des Elzévirs, et si leur large guirlande de roses trémières ne leur a pas été en maint cas dérobée. Les esprits même les plus en délicatesse de littérature pourront désirer quelquefois plus de circonspection et de sévérité dans certains jugemens qui atteignent des noms connus : ainsi, M. de La Rochefoucauld n’est pas formellement accusé, à l’article IV des Questions, d’être un plagiaire de Corbinelli ; mais cette singulière accusation, une fois soulevée, n’est pas non plus réfutée et réduite à néant, comme il l’aurait fallu. Pascal, à l’article V, demeure hautement accusé d’avoir pillé Montaigne ; son plagiat est même proclamé le plus évident et le plus manifestement intentionnel que l’on connaisse, et l’on oublie que Pascal, mort depuis plusieurs années lorsqu’on recueillit et qu’on publia ses Pensées, ne peut répondre des petits papiers qu’on y inséra et qui pour lui n’étaient que des notes dont il se réservait l’usage. Ses pieux amis, les éditeurs, plus versés dans saint Augustin que dans Montaigne, ne s’aperçurent pas qu’ils avaient affaire par endroits à des extraits de ce dernier, et négligèrent naturellement d’en avertir. On aurait à multiplier les remarques de ce genre à propos de la critique de notre ingénieux et poétique érudit. Un jour, dans un article sur le cardinal de Retz, il lui appliquera je ne sais quel mot de celui qu’il appelle tout d’un coup le sage et vertueux Balzac, oubliant trop que cet estimable écrivain n’était pas le moins du monde un philosophe ni un sage, mais bien un utile pédant doué de nombre, sous qui notre prose a fait et doublé une excellente rhétorique : voilà tout.

Dans le plus suivi et le plus philosophique de ses jeux érudits, dans ses Élémens de Linguistique, Nodier a développé un système entier de formation des langues, l’histoire imagée du mot depuis sa première éclosion sur les lèvres de l’homme jusqu’à l’invention de l’écriture et à l’achèvement des idiomes. Ces sortes de questions dépassent de beaucoup le cercle des conjectures sur lesquelles nous nous permettons d’exprimer et même d’avoir un avis. Un savant article du baron d’Eckstein[1] vint protester au nom des résultats et des procédés de

  1. Journal de l’Institut historique, 2e livraison.