Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/386

Cette page a été validée par deux contributeurs.
382
REVUE DES DEUX MONDES.

presque entièrement privée et qui ne partit au collége que dans les classes supérieures. Le jeune Nodier suivit pourtant à Besançon les cours de l’École centrale et fut élève de M. Ordinaire, de M. Droz. Ses relations avec le moine Schneider, telles qu’il s’est plu à nous les peindre, ne sont-elles pas une réflexion fort élargie, une pure réfraction du souvenir à distance au sein d’une vaste et mobile imagination ? Nous nous garderions bien, quand nous le pourrions, de chercher à suivre le réel biographique dans ce qui est surtout vrai comme impression et comme peinture, et d’y décolorer à plaisir ce que le charmant auteur a si richement fondu et déployé. Ce que nous demandons à l’enfance et à la jeunesse de Nodier, c’est moins une suite de faits positifs et d’incidens sans importance que ses émotions mêmes et ses songes ; or, de sa part, les souvenirs légèrement romancés nous les rendent d’autant mieux.

Les premiers sentimens du jeune Nodier le poussèrent tout-à-fait dans le sens de la révolution. Son père fut le second maire constitutionnel de Besançon ; M. Ordinaire avait été le premier. L’enfant, dès onze ou douze ans, prononçait des discours au club. Une députation de ce club de Besançon alla rendre visite au général Pichegru qui avait repoussé les Autrichiens, du côté de Strasbourg : l’enfant fut de la partie ; deux commissaires le demandèrent à son père : « Donnez-nous-le, nous le ferons voyager ! » Pichegru lui fit accueil et l’assit même sur ses genoux, car l’enfant, très jeune, était de plus très mince et petit, il n’a grandi que tard. Il passa ainsi trois ou quatre jours au quartier-général et partagea le lit d’un aide-de-camp. Cette excursion fut féconde pour sa jeune ame ; mille tableaux s’y gravèrent, mille couleurs la remplirent. Il put dire avec orgueil : Pichegru m’a aimé. Mais, lorsqu’ensuite, dans son culte enthousiaste, il s’obstina jusqu’au bout à parler de Pichegru comme d’une pure victime, comme d’un bon Français et d’un loyal défenseur du sol, il fut moins fidèle à l’information de l’histoire qu’à la reconnaissance et au pieux désir.

Pendant la Terreur probablement, un M. Girod de Chantrans, ancien officier de génie, forcé de quitter Besançon par suite du décret qui interdisait aux ci-devant nobles le séjour dans les places de guerre, alla habiter Novilars, château à deux lieues de là ; il emmena le jeune Nodier avec lui. C’était un savant, un sage, une espèce de Linnée bisontin. Il donna à l’enfant des leçons de mathématiques et d’histoire naturelle, mais l’élève ne mordit qu’à cette dernière. C’est là qu’il commença ses études entomologiques, ses collections, s’at-