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ment dans cette voie ? La crainte d’ébranler ses propres institutions en touchant à celles de l’Irlande ne la retiendra-t-elle pas au contraire dans le cercle assez étroit où tournent péniblement ses hommes d’état de toute couleur depuis l’émancipation ? Telle est la dernière question. Il faut d’abord remarquer que l’Irlande ne peut rien attendre ni des tories qui sont depuis de longues années ses ennemis acharnés, ni des radicaux qui, malgré le bruit qu’ils font, ne forment encore dans le parlement et dans le pays qu’une faible minorité. Les radicaux, zélés protestans pour la plupart, ont d’ailleurs peu d’entrailles pour l’Irlande catholique. Si l’Irlande a quelque chose à espérer, c’est donc des whigs, auxquels elle doit depuis six ans ce qu’elle n’avait jamais obtenu jusqu’ici, un gouvernement juste et modéré. Cependant les whigs, il faut le dire, n’ont guère moins que les tories de respect et d’affection pour les vieilles institutions du pays. Forcés de se défendre en Irlande contre une aristocratie et un clergé fanatiques, peut-être seraient-ils disposés à enlever à cette aristocratie et à ce clergé une notable portion de leurs priviléges politiques et religieux ; mais la réforme des lois civiles ne les trouverait certes pas si complaisans. Sur ce point, ils ont précisément les mêmes idées, les mêmes préjugés que les tories, et le maintien des grandes propriétés au moyen du droit d’aînesse et des substitutions leur paraît l’arche sainte. Il est donc difficile de supposer qu’ils prêtassent volontairement la main à une réforme funeste selon eux, et qui mettrait le comble à la misère de l’Irlande au lieu de la diminuer. Bien plutôt les verra-t-on encourager les propriétaires irlandais à réunir les parcelles aujourd’hui louées et sous-louées de leurs propriétés, pour revenir ainsi à la grande culture et augmenter le produit net.

Je suppose pourtant que les whigs, éclairés par l’expérience, finissent par reconnaître que des lois bonnes, jusqu’à un certain point, en Angleterre, peuvent être détestables en Irlande, et que ces lois, pour faire le bien du pays, doivent subir des réformes profondes : pourront-ils obtenir du parlement qu’il s’associe à une telle œuvre, et ne rencontreront-ils pas, dès les premiers pas, des obstacles insurmontables ? J’en suis profondément convaincu. Voilà quarante ans que l’Angleterre et l’Irlande sont légalement unies et n’ont plus qu’un parlement ; voilà plus de dix ans que sont tombés sous la main du duc de Wellington et de sir Robert Peel les derniers débris des lois pénales. L’Angleterre protestante n’a pu pourtant encore s’habituer à regarder les Irlandais comme des compatriotes, et les catholiques comme des frères. À ses yeux, l’Irlande est toujours une terre con-