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RÉFLEXIONS POLITIQUES.

Enfin, les cabinets de l’Allemagne qui sont des observateurs froids, et qui avaient prévu, en 1829, toutes les extrémités auxquelles devait aboutir la lutte qui s’était engagée en France, ces cabinets ont tous fait exprimer, nous le savons, des paroles bienveillantes au ministère du 1er  mars.

Sans doute ces manifestations, dont rien n’autorise à suspecter la sincérité, ne diminuent pas les graves embarras de la France à l’extérieur ; mais les questions principales ne sont pas aussi compromises qu’on le pense, et une direction à la fois habile, prudente et serrée, peut opérer de grands changemens dans cet état de choses. Les grandes mesures, les décisions suprêmes, ne se prennent pas si résolument et si vite dans l’Europe telle qu’elle est constituée aujourd’hui. On négocie, on remue, on s’agite sans cesse, il est vrai ; de grands et puissans interlocuteurs, nommés la France, l’Angleterre, la Russie, l’Autriche, s’assemblent fréquemment à Londres, à Paris, à Constantinople, à Vienne, pour y discuter ; mais rien de décisif n’aura lieu tant que la France et l’Angleterre ne seront pas ouvertement séparées sur une question européenne, vitale ; et une séparation de ce genre, il ne faut pas se le dissimuler, serait la guerre, et la guerre universelle en Europe comme en Asie. Or à qui profiterait l’intérêt de cette rupture ? À la Russie, évidemment. Le résultat pour elle serait la possession de Constantinople. Est-ce là ce que veut le cabinet anglais ?

Il a fallu toute l’indécision, toute l’impéritie du ministère du 12 mai pour amener les choses au point où elles sont. Après la mémorable discussion des affaires d’Orient, où la chambre se montra si prête à faire tout ce que commanderaient la dignité et l’honneur du pays, le ministère disait chaque jour dans les conseils ces paroles que l’un de ses membres a rendues depuis si célèbres en les portant à la tribune : « Il y a quelque chose à faire », et l’on sait quelles résolutions diverses furent proposées ! À l’issue de maintes délibérations, on se livra à l’idée d’un congrès, idée suggérée et soigneusement entretenue par l’Autriche, qui flattait le ministère de l’espoir qu’il avait d’y voir figurer l’empereur Nicolas en personne. C’eût été, en effet, un grand triomphe après les déclarations solennelles de la Russie, qui avait refusé si souvent d’admettre des arbitres étrangers dans ses affaires avec l’Orient ! Mais bientôt le ministère du 12 mai dut renoncer à cette gloire qu’il se promettait, et comme il fallait à tout prix se populariser pour la session suivante, on envoya quinze vaisseaux croiser à l’entrée des Dardanelles, et on agaça l’attention