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tion de se mettre en campagne contre l’ennemi, et d’aller à lui comme saint George attaquant le dragon, le ministère du maréchal Soult, où figuraient près de lui quelques hommes d’un talent véritable, mais qui étaient pour la plupart nouveau-venus dans la direction des affaires, devint insuffisant pour la tâche qu’il avait à remplir ; et cette tâche devait revenir de droit à M. Molé, à M. Guizot ou à M. Thiers.

On s’est étonné de la chute subite et silencieuse du ministère du 12 mai. Depuis le commencement de la session, la chambre se prêtait avec complaisance à toutes les exigences de la situation. Elle sentait bien que le ministère n’avait pas de vie par lui-même, et qu’il n’était qu’un ensemble de négations, et comme un essai qui tendait à prouver au pays qu’on pouvait le gouverner sans les hommes influens, sans les chefs des différens partis politiques, si toutefois cette pensée n’allait pas plus loin, et n’excluait pas les partis eux-mêmes de la participation aux affaires. Que vit-on alors ? Les influences réelles qui dominent les différentes opinions n’étant pas dans le pouvoir, et ne s’exerçant pas de ce centre sur les masses, la force et l’influence agirent du dehors sur le pouvoir, et le dirigèrent presque à son insu. Parmi les principaux griefs énoncés dans la coalition contre le cabinet du 15 avril, on alléguait surtout que les sommités de la chambre élective ne s’y trouvaient pas représentées. Cela est vrai ; mais le ministère du 15 avril avait arboré un drapeau qui lui appartenait en propre : il était parti de l’amnistie, cette mesure politique long-temps différée par quelques-uns de ses adversaires, et entièrement repoussée par d’autres. Le drapeau était bien ou mal défendu, soutenu par des mains plus ou moins fortes ; mais enfin il y avait un drapeau, tandis que le ministère du 12 mai n’avait pas de drapeau, et a, jusqu’à présent même, laissé en blanc sa devise. C’était une singulière situation que celle de ce cabinet qui prétendait sortir d’une nuance de la chambre où M. Thiers occupait le premier rang, et qui n’avait au fond d’autre programme que l’exclusion de M. Thiers ! Et c’est ici qu’il faut reconnaître la force puissante des choses et le néant profond qui résulte d’une fausse situation. Le ministère parlementaire formé le 12 mai était, en quelque sorte, annulé par deux influences : celle du trône, influence bien légitime, qui modifia bientôt ce qu’il y avait de contraire à l’esprit de gouvernement dans quelques membres de ce cabinet, et l’influence de l’homme qui en était exclu, et qui jouait, pour ainsi dire, par son absence, le principal rôle dans les conseils. Il nous semble que nous nous faisons comprendre, et qu’il est facile de s’expliquer la marche que suivit le gouvernement dans ces neuf mois de transition que dura