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RÉFLEXIONS POLITIQUES.

juge de la situation de la France, quand vaincue par l’Europe, diminuée, repoussée au-delà des limites de l’ancienne monarchie, volontairement déshéritée des priviléges et des relations de la royauté de huit cents ans, privée de l’épée de Napoléon, elle se retrouva, en pleine paix, vis-à-vis de l’Europe étroitement resserrée, nouvellement organisée, et organisée contre elle ? Cependant il faut remarquer que sans armée, sans finances, sans crédit, sans appui dans le pays, ramené qu’il était par des troupes ennemies, le gouvernement des Bourbons trouvait dans sa fausse situation des avantages réels dont il profita. D’abord, aux yeux de la coalition, ce gouvernement était étranger et à l’esprit de conquête sans limites qu’on reprochait à la France, et aux actes de la révolution dont on nous fera toujours des crimes. Il résista vivement aux prétentions exagérées des puissances ; mais cette résistance était sans danger, car les puissances n’auraient pas voulu détruire en lui leur œuvre, et elles ne pouvaient attribuer aux Bourbons, quelle que fût leur attitude, la pensée de recommencer une guerre dans laquelle venait de succomber Napoléon. En résistant aux plénipotentiaires des puissances alliées, qui voulaient lui arracher l’Alsace, la Flandre, la Lorraine, et dépouiller les petits-fils des conquêtes de leur aïeul ; en ne cédant que les conquêtes de la révolution, Louis XVIII replaçait habilement les souverains alliés sur le terrain de la ligue d’Augsbourg, laquelle n’avait en vue que l’humiliation de Louis XIV, et non la chute du trône et le morcellement de la France. Au reste, l’habileté n’exclut pas le patriotisme, et la pensée de contester à Louis XVIII le mérite de sa résistance toute française est bien loin de nous. La lettre écrite par le duc de Richelieu, le lendemain de la signature du traité du 20 novembre 1815, où le ministre de Louis XVIII annonçait qu’il avait apposé la veille, « plus mort que vif, » son nom sur ce fatal traité, cette lettre est faite pour honorer l’homme qui l’a écrite et le gouvernement qu’il servait, mais qui devait se perdre, et sans retour, en moins de quinze ans par ses excès et son aveuglement. L’histoire des négociations de toute cette époque, commencée par la demande d’évacuation du territoire français, finit par la notification de la conquête d’Alger, faite au moment où le gouvernement de Charles X expirait dans les efforts débiles d’une tentative de despotisme. Que la restauration n’a-t-elle négocié au dedans avec la même loyauté qu’elle l’a fait au dehors ! Mais il était dans sa destinée de ne pouvoir soutenir la lutte et de ne pouvoir l’éviter, cette lutte où elle devait périr. Quoi de surprenant ? N’avons-nous pas vu le pouvoir actuel, né de la vo-