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DES RÉVOLUTIONS DANS LES SOCIÉTÉS NOUVELLES.

propriétaires ardens et inquiets que l’égalité des conditions accroît sans cesse.

Ainsi, dans les sociétés démocratiques, la majorité des citoyens ne voit pas clairement ce qu’elle pourrait gagner à une révolution, et elle sent à chaque instant, et de mille manières, ce qu’elle pourrait y perdre.

L’égalité des conditions pousse naturellement les hommes vers les carrières industrielles et commerçantes, elle accroît et diversifie la propriété foncière, elle inspire à chaque homme un désir ardent et constant d’augmenter son bien-être. Il n’y a rien de plus contraire aux passions révolutionnaires que toutes ces choses.

Il peut se faire que par son résultat final une révolution serve l’industrie et le commerce ; mais son premier effet sera presque de ruiner les industriels et les commerçans, parce qu’elle ne peut manquer de changer tout d’abord l’état général de la consommation, et de renverser momentanément la proportion qui existait entre la reproduction et les besoins.

Je ne sache rien d’ailleurs de plus opposé aux mœurs révolutionnaires que les mœurs commerciales. Le commerce est naturellement ennemi de toutes les passions violentes. Il aime les tempéramens, se plaît dans les compromis, fuit avec grand soin la colère. Il est patient, souple, insinuant, et il n’a recours aux moyens extrêmes que quand la plus absolue nécessité l’y oblige. Le commerce rend les hommes indépendans les uns des autres ; il leur donne une haute idée de leur valeur individuelle ; il les porte à vouloir faire leurs propres affaires, et leur apprend à y réussir ; il les dispose donc à la liberté, mais il les éloigne des révolutions.

Dans une révolution, les possesseurs de biens mobiliers ont plus à craindre que tous les autres, car, d’une part, leur propriété est souvent aisée à saisir, et, de l’autre, elle peut à tout moment disparaître complètement ; ce qu’ont moins à redouter les propriétaires fonciers qui, en perdant le revenu de leurs terres, espèrent du moins garder, à travers les vicissitudes, la terre elle-même. Aussi voit-on que les uns sont plus effrayés que les autres à l’aspect des mouvements révolutionnaires.

Les peuples sont donc moins disposés aux révolutions à mesure que, chez eux, les biens mobiliers se multiplient et se diversifient, et que le nombre de ceux qui les possèdent devient plus grand.

Quelle que soit d’ailleurs la profession qu’embrassent les hommes, et le genre de biens dont ils jouissent, un trait leur est commun à tous.