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le privilége d’exciter son attention. À vrai dire, ses débuts sont moins littéraires que politiques, et l’éclat de ses succès s’explique surtout par cet instinct merveilleux qu’il a de faire vibrer sa corde lyrique à l’unisson de la fibre populaire. Au jour même de son triomphe le plus universel, il n’est guère de son temps que par les sentimens passagers, par une communauté d’idées transitoires. Le fonds propre de son inspiration et les formes mêmes de son langage appartiennent à une autre époque, sont d’un autre pays. C’est un Grec d’autrefois transplanté dans la France moderne, et qui s’exprime sur les choses contemporaines avec les images et les souvenirs de l’antiquité. À l’exception de deux ou trois, les poésies nationales de M. Casimir Delavigne manquent de vérité locale ; l’enthousiasme qui s’y montre procède plus d’une sorte d’arrangement littéraire que d’un vif sentiment de la réalité. Quand, un peu plus tard, à l’avénement de l’auteur des Méditations, l’école de poésie française presque tout entière aborde les mystérieuses profondeurs de l’ame humaine et de la Divinité, M. Casimir Delavigne, loin de participer à cette rénovation spiritualiste du jeune siècle, retourne, au contraire, à la Grèce et à Rome païenne avec une persistance désormais sans à propos ; pourtant sa foi dans le culte classique n’est pas telle qu’il n’y déroge par aventure. Volontiers il brise le pacte ancien et se laisse aller à consentir des alliances nouvelles, pour peu qu’on le sollicite. Ainsi n’eussent pas fléchi sans doute les purs et fidèles disciples de l’antique religion littéraire, tels que le chantre de l’Aveugle.

Au théâtre, M. Casimir Delavigne a manqué d’invention ; le plus souvent il s’est borné à reproduire les situations et les caractères depuis long-temps consacrés sur la scène. D’abord tragique de l’école de Racine et de Voltaire, il a marché dans la comédie, bien qu’avec moins d’évidence, entre Gresset, Beaumarchais ou tel autre, s’aidant partout de deux ressources familières à l’abbé Delille, la périphrase et la description. Puis successivement il s’est essayé à des pastiches de tout genre, calqués sur Byron, sur Shakspeare, sur Mercier, sur le drame français moderne, et enfin récemment encore sur le vieux Corneille, avec une souplesse de plus en plus complaisante. Il s’est fait romantique à la suite, recueillant le plus sûr butin de chaque périlleuse innovation, tout comme il a été classique de reflet, et avec une teinte particulière de son choix. Surtout on doit noter chez le poète des Vêpres Siciliennes et des Comédiens une aptitude peu commune à chausser pareillement le brodequin et le cothurne. Une telle élasticité de veine n’est pas, selon nous, l’indice d’une vocation bien