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frère d’armes du Cid. Quant à Chimène, elle est morte, ainsi l’a voulu M. Casimir Delavigne, ce qui, à tout prendre, vaut mieux encore que s’il nous l’eût montrée toute chargée d’ans et de rides. Chimène revit, il est vrai, dans les graces et la beauté de sa fille ; mais Elvire, avec une teinte de fierté plus sauvage, n’a pas la tendresse et le cœur de Chimène. M. Delavigne a trop grandi la stature de son héroïne, taillée du reste sur le patron des femmes de Corneille. Il en a exagéré la couleur ironique et superbe. On aperçoit trop que la gamme d’Elvire, haussée à tous les tons du sarcasme et du dédain, a été modulée primitivement sur la voix de Mlle Rachel. Elvire poursuit tous ceux qui l’entourent de ses belliqueuses excitations et de ses implacables railleries. Elle aime son jeune cousin Rodrigue ; mais, préférant la gloire à son amour, elle ne cesse d’éveiller en lui la fibre guerrière endormie et de le pousser au combat. Quand Ben-Saïd, l’envoyé des Maures, vient offrir la royauté au vieux Cid, c’est Elvire qui prend sur elle de repousser avec hauteur ces offres insolentes. Il n’est pas jusqu’à son père lui-même à qui Elvire ne donne des leçons d’énergie et d’audace. À la vérité le vaillant campeador n’a plus son inflexible trempe d’autrefois, il se bat un peu moins à présent, et fait sonner davantage en paroles le renom de ses vieilles prouesses. Le Cid est aussi devenu singulièrement conteur avec l’âge. Tandis que les Maures s’apprêtent à assiéger Valence, il fait complaisamment à sa fille je ne sais quels anciens récits de juif et de coffre-fort :

C’est une vieille histoire
Que je veux vous conter, mais bien bas pour ma gloire.

D’autres fois il se montre naïf et bon homme à plaisir, ou professe gaiement des maximes de la plus indulgente philosophie en matière de bravoure. Ce n’est pas le bouillant adversaire du comte de Gormas qui eût dit par exemple :

L’habitude est pour nous la moitié du courage.

On se demande jusqu’à quel point il convient d’applaudir à ces sortes de copies adroitement falsifiées d’une œuvre originale. Le poète, je l’accorde, a plein droit généralement de refaire pour son compte toute histoire et tout drame tombés dans le domaine commun ; ce n’est pas nous qui voudrions barrer passage aux auteurs vivans avec le fantôme des morts illustres : mais pourtant il est telle création supérieurement accomplie et si achevée en elle-même qu’elle paraît de tout point définitive, telle figure coulée en bronze d’un jet si absolu