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POÈTES MODERNES DE LA FRANCE.

bilité, par ses contradictions même d’un effet tout pathétique, devait toucher la fibre si caressée du nouveau poète ; il fait pour l’émotion commune ce que réalisent pour les esprits délicats la perfection des détails et le grand soin littéraire de toute la pièce.

Après avoir essayé tour à tour la tragédie classique, la comédie de caractère, le drame historique et moyenâgeux, M. Casimir Delavigne paraît avoir voulu comme mêler et fondre ensemble ces genres divers dans Don Juan d’Autriche. Après avoir visé successivement à l’imitation de Racine, de Molière, de Byron, de Shakspeare, voici que maintenant il marche résolument sur les traces de M. Hugo, dont la témérité lui fait ombrage. Il tente tous les hasards, toutes les péripéties imprévues, tous les ressorts périlleux du drame moderne, sans craindre la comparaison devenue possible avec Lucrèce Borgia, Marie Tudor et Angelo. Le poète, jadis tant circonspect, secoue à la fin sans restriction le joug des unités ; et ce qui n’est pas moins nouveau, c’est que pour la première fois l’auteur des Vêpres siciliennes substitue à son vers correct, harmonieux, sonore, une prose vive, sémillante, pleine d’antithèses et de concetti, qu’il s’efforce d’emprunter tour à tour à Voltaire et à Beaumarchais. Don Juan d’Autriche, le fils naturel de Charles-Quint, le brillant vainqueur de Lépante, devient tout à coup, sous la main de M. Casimir Delavigne, le héros d’un drame bizarre, multiple, compliqué à l’excès, où le poète tente, au moyen de personnages historiques inusités dans l’ancienne comédie, de fondre ensemble le comique et l’intérêt, le rire et les larmes. Naturellement l’histoire se trouve interprétée d’une façon très libre, et, en ce qui touche don Juan spécialement, Brantôme est quelque peu faussé dans sa chronique. M. Delavigne a certes mis en œuvre bien de l’esprit et des ressources d’imagination dans la texture et la broderie de ses cinq actes. La pétulance de don Juan, destiné au cloître et ne rêvant toutefois qu’amour et batailles, le débordement naïf de ses goûts, de ses penchans, de ses espérances, éveillent un intérêt vif et rapide. Quexada, si plein de comique frayeur devant l’étourderie de son élève, Quexada, légèrement poltron et néanmoins capable du plus honnête dévouement, est une figure plaisamment saisie, quoique empruntée d’ailleurs à divers types connus, et qui provoque aisément le sourire. La situation de Charles-Quint au couvent de Saint-Just est heureuse malgré l’anachronisme. Cette vieille majesté déchue, jadis l’arbitre de l’Europe, employant aujourd’hui toute son activité à ourdir une intrigue obscure de cloître en faveur de son fils don Juan, ne manque pas d’originalité,