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POÈTES MODERNES DE LA FRANCE.

céleste de l’Angiolina de Byron, sacrifiée à la situation bien moins neuve d’Élena et de Fernando, on ne pouvait contester qu’en rendant Élena coupable, l’auteur français n’eût mêlé heureusement le drame domestique au drame politique, et produit ainsi un intérêt plus pathétique et plus soutenu, couronné par la belle scène finale du pardon. Par ses libres allures, son mouvement et ses péripéties, Marino Faliero réalisait une sorte de drame à grandes proportions, mis en relief par le jeu de Ligier et la pantomime expressive de Mme Dorval ; mais d’autre part il se rapprochait encore de la tragédie par une poésie et une vigueur de style supérieures à la facture commune de M. Delavigne.

Il a dû en coûter quelque peu sans doute à M. Casimir Delavigne de se départir de sa ligne tracée dès long-temps entre les régulateurs poétiques des XVIIe et XVIIIe siècles. D’abord il avait paru se rattacher suffisamment à la tradition racinienne, autant par l’inspiration tout antique de sa première muse que par la pureté inaltérable de la forme. Amené sur le théâtre vers des sujets nationaux, ou tout au moins d’histoire moderne plus conformes au goût public, il n’en avait pas moins respecté la discipline aristotélique, et gardé son goût particulier d’élégante paraphrase. En un mot, soit que M. Delavigne fît de la tragédie pure, régulière, classique, avec un ressouvenir assez présent du sentencieux auteur de Mahomet, soit qu’il essayât de la comédie de caractère dans le genre approchant de la Métromanie et du Méchant, il était visiblement resté fidèle à l’ancienne école de poésie française, un peu froide et maniérée, mais toujours élégante dans sa mesure[1]. Ce n’est donc pas sans quelque violence, je veux le croire, qu’entraîné de plus en plus il a réalisé ses plus importantes concessions au romantisme. Mais, après 1830 surtout, l’école nouvelle s’étant emparée en maître du théâtre, force avait été de la suivre sur son terrain, sinon de lui céder toute la place. De Marino Faliero, donné le 30 mai 1829, jusqu’à Louis XI, représenté le 11 février 1832, la témérité de M. Delavigne s’était accrue en proportion du temps et

  1. M. Casimir Delavigne a été aussi appelé, avec un semblant de justesse, le Boileau du XIXe siècle. L’auteur des Messéniennes et celui de l’Épître sur les femmes se touchent, à travers deux siècles d’intervalle, par des qualités communes assez évidentes. Ils ont l’un et l’autre, par exemple, moins d’imagination que de sens et d’esprit, et plus d’élégance apprêtée que de grace naturelle ; mais là se borne la ressemblance. Boileau était un maître original, influent, un docteur en poésie, l’oracle de son temps, le conseil et le juge de Racine, de Molière, de La Fontaine. M. Delavigne n’est, de nos jours, que le premier élève de l’école de Boileau. M. Delavigne se rattacherait encore, si l’on veut, dans sa force tempérée, à toute une souche de poètes normands ses compatriotes, qu’on peut discerner sans peine.