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POÈTES MODERNES DE LA FRANCE.

trée malheureuse, et l’allégation d’une préface de l’auteur, où la pièce était traitée comme un pur délassement, ne pouvait rien atténuer. Dans cette comédie politique, faible d’intrigue et presque toute en conversation, le dessein de l’auteur avait été de persiffler, sous le voile de la fiction, un triumvirat trop célèbre ; mais par malheur son coup de collier n’avait abouti qu’à une œuvre froide, traînante, prétentieuse, et qu’on eût jugée mieux venue sous forme de satire, telle que la savaient faire les auteurs jumeaux de la Villéliade. Jamais ce mot d’un critique : « On marche lentement dans les pièces de M. Delavigne, » ne parut plus vrai. On estima généralement que de l’esprit, de jolis vers, des passages ingénieux, ne faisaient point seuls l’affaire essentielle du drame, et que le théâtre avait besoin, avant tout, de mouvement, de vérité générale, de pensée philosophique. L’auteur, comptant évidemment sur le prestige de sa versification et sur son facile esprit, n’avait jamais sacrifié avec plus d’insouciance le fond de l’idée à la parole sonore, le trait vif et juste au lieu commun poétique ; jamais il n’avait mieux mis en jour les vices inhérens à sa manière, et laissé voir plus ouvertement le défaut de la cuirasse. L’ouvrage fut arrêté court, et, malgré ce qui est dit quelque part, d’intrigues de coulisses qui en auraient interrompu la marche, il paraît certain que la froideur du public, gagnée de jour en jour au contact de la pièce, en paralysa seule le succès. Les journaux graves et vraiment littéraires ne manquèrent pas à la remontrance ; un savant et spirituel rédacteur du Globe en fit notamment une critique qui portait coup au juste endroit, et il fut démontré sans conteste que l’auteur venait de perdre, à trente-cinq ans, la virginité de sa gloire dramatique.

L’instant n’était pas éloigné où M. Casimir Delavigne allait dévier sensiblement de sa manière poétique naturelle, et pactiser dans une certaine mesure avec le goût moderne. En 1829, la réforme poétique, déjà entreprise dans l’ode et dans le roman, faisait invasion à la scène, entraînant à sa suite un flot turbulent de vives sympathies et de bruyantes adhésions. D’autre part, la tragédie de l’empire tentait de réagir en sens contraire avec une exagération moins légitime encore, et pour ressaisir, comme dans un effort désespéré, son pouvoir compromis, prétendait imposer violemment[1] des calques du passé sans force et sans génie. Pertinax et consorts réclamaient à tout prix le

  1. On n’a pas oublié la fameuse pétition classique adressée au roi Charles X, laquelle ne tendait rien moins qu’à expulser les romantiques du théâtre, sous prétexte de bonnes mœurs.