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POÈTES MODERNES DE LA FRANCE.

d’ailleurs la comparaison d’un chapitre de Gil Blas était provoquée sans avantage. Tout en se révélant homme d’incontestable esprit, M. Delavigne était loin d’atteindre toutefois le vis comica du vrai genre.

Désormais vengé à sa guise, et l’enivrement d’un double succès une fois apaisé, M. Casimir Delavigne revint, après deux ans, à ses premières études tragiques, et ce fut pour trouver dans le Paria la plus brillante sans contredit de toutes ses inspirations. L’idée du Paria était visiblement empruntée à la Chaumière Indienne ; la tragédie tentait de paraphraser, avec ses ressources et ses vices d’amplification, le conte si ingénieusement philosophique de Bernardin de Saint-Pierre. M. Delavigne avait pris à cœur, lui aussi, de relever une caste d’hommes de son injuste abaissement, et employait, pour sa part, tout son prestige dramatique à réhabiliter de malheureux proscrits en face de la société européenne. C’était encore là une façon de thème populaire avec des noms indiens, et le dialogue, bien qu’enfermé à Benarès, pouvait, franchissant deux mille lieues de distance, trouver sans peine son écho à Paris. Malgré nombre d’inévitables défauts, un plan défectueux, quelques scènes peu naturelles, un trop facile écueil d’exagération dans les idées, et un dénouement qui ne satisfait pas, cette œuvre tragique avait pourtant des parties tout-à-fait supérieures, elle révélait en M. Delavigne un éclat et une éloquence poétiques qu’il n’a plus atteints depuis lors : on remarquait de ces vers magnifiques, faits pour être applaudis :

La vie est un combat dont la palme est aux cieux.

En tant que travail de style, cela visait de près à la perfection. Surtout, les chœurs du Paria, semés de strophes vraiment lyriques, rappelaient avec un rare bonheur les chœurs merveilleux d’Esther et d’Athalie. L’Orient et sa mystérieuse théogonie se trouvaient réalisés dans leurs plus poétiques couleurs ; c’était bien la patrie des roses et du soleil que chantaient ces brames, ces guerriers et ces jeunes filles :

PREMIER BRAME.

Du soleil qui renaît bénissez la puissance ;
Chantez, peuples heureux, chantez :
Couronné de splendeur, il se lève, il s’avance.
Chantez, peuples heureux, chantez
Du soleil qui renaît les dons et les clartés.