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POÈTES MODERNES DE LA FRANCE.

rien à rechercher intimement, rien à pénétrer en secret de cette préparation sourde et latente, de ce labeur fiévreux et incertain, de ces années initiatrices qui composent le premier lot misérable de tant d’autres. À la différence de la plupart des poètes, noble race tant agitée par le destin et si féconde en infortunes de tout genre comme celle d’Agamemnon, M. Casimir Delavigne ne paraît avoir éprouvé nullement au début les orages intérieurs des jeunes ames s’entr’ouvrant à la poésie. Sa vocation s’est vite prononcée sans peine, sans effort, sans hésitation, par une pente aisée et doucement entraînante. Il n’a pas eu à fouiller bien avant au fond de lui-même pour y chercher la veine inspiratrice. Il l’a bientôt rencontrée dans le facile contact des impressions extérieures. À partir de là, sa vie toute entière s’est réfléchie dans la transparente et calme surface de ses admirations soit politiques, soit littéraires. C’est à peine si les tempêtes du dehors, de loin en loin retentissantes, soulèvent quelques flots doucement émus au milieu de ce lac tranquille. Après chaque œuvre accomplie, on voit le poète, sans qu’il perde rien de sa sérénité, sans rien gagner en audace, se préparer lentement à un nouveau triomphe tout aussi prévu dont il confie le secret à la solitude profonde dont sa muse s’inspire. Et pour cela, il n’est qu’un soin dont son esprit s’occupe, c’est d’écouter à distance la grande voix qui domine tous les bruits du jour, c’est de regarder attentivement à quel horizon souffle le vent des idées régnantes, afin qu’il puisse conformer son vers et sa raison à ces avis salutaires.

Il n’est pas sans intérêt de voir cette sérénité originelle de M. Delavigne, et son instinct du succès, si persévérant depuis lors, se déclarer dès la première adolescence. On était en 1811, l’empire nageait en pleine gloire ; pour comble d’ivresse, un fils venait de naître au grand empereur des Français. M. Casimir Delavigne, alors âgé de dix-sept ans et encore élève du Lycée Napoléon, tourna invinciblement ses jeunes regards vers l’astre rayonnant de l’époque, et se mit à composer un dithyrambe sur la naissance du roi de Rome. Ce que cette pièce offre de plus remarquable sans doute, c’est ce penchant déjà prononcé dans un si jeune homme à partager les adorations de la foule, et à se faire l’écho des impressions publiques. Les hyperboles mythologiques abondent : c’est l’écolier de rhétorique encore tout frais du Carmen sœculare d’Horace :

Que la cité de Mars à ma voix se console ;
Un nouveau Jupiter, garant de mes décrets,