Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/284

Cette page a été validée par deux contributeurs.
280
REVUE DES DEUX MONDES.

en commun, était dite condocta, et les comédiens condocti[1]. La scrupuleuse exactitude avec laquelle les acteurs chargés des seconds et des troisièmes rôles conformaient leur diction à celle du didascale, était presque passée en proverbe[2]. Aussi Démosthène appelle-t-il l’orateur Eschine, qui avait été quelque temps tritagoniste dans la troupe d’Aristodème, un vrai singe de tragédie, αὐτοτραγικοπίθηκος[3].

L’usage d’enseigner les comédiens de vive voix ne disparut même pas lorsque l’écriture et les manuscrits furent plus communs. Sophocle mourut, dit-on, d’un vaisseau qu’il se brisa dans la poitrine pour avoir forcé sa voix en lisant aux acteurs sa tragédie d’Antigone[4]. À Rome, les poètes tragiques et comiques, et même les mimographes, suivirent cet exemple, bien que toutes les troupes scéniques fussent pourvues de copistes, scribæ, qui transcrivaient les rôles. C’est, je crois, à l’espèce d’écho produit par le mime ou l’acteur secondaire, répétant les paroles et les intonations du maître, qu’Horace a fait allusion dans ces vers :

Sic iterat voces…
Ut puerum credas sævo dictata magistro
Reddere, aut partes mimum tractare secundas
.

Plusieurs monumens nous représentent les poètes occupés à remplir cette fonction de lecteurs enseignans. Je citerai, d’abord, un beau camée d’agate, publié par Caylus[5], où l’on voit un poète assis, tenant à la main son poème qu’il lit à deux comédiens, dont le masque est rejeté derrière la tête[6], et qui l’écoutent avec recueillement. Une autre pierre gravée du cabinet de Sir Charles Townley représente, dit Raspe, dix acteurs et actrices (apparemment des mimi et des mimæ) qui ont le masque relevé[7], et prennent leçon d’un poète ou didascale[8].

Un beau manuscrit de Térence, de la fin du XIVe siècle[9], et dont les nombreuses miniatures nous offrent Dave, Phædria, Pamphile, etc., sous les costumes du temps de Charles V, représente, dans la belle peinture qui lui sert de frontispice, une image un peu altérée de cette

  1. Plaut., Pænul., act. III, sc.II, v. 4.
  2. Plutarch., De Republ. gerend. prœcept., pag. 816.
  3. Demosth., Pro coron., pag. 307, ed. Reisk.
  4. Soph. vit., pag. 4.
  5. Cayl., Recueil d’antiq., tom. I, pl. LIV.
  6. Plusieurs peintures et pierres gravées antiques nous montrent des comédiens avec le masque relevé.
  7. Le masque que portent ces figures ne s’oppose point à ce que ce soit des mimes. Ces acteurs jouaient, suivant l’occurrence, avec ou sans masque.
  8. Raspe, Tassie’s catal., n. 3564
  9. Ms. Reg., Tillerianus, n. 7907, A.