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qui portaient son nom, οἱ περὶ Θεσσαλὸν, οἱ περὶ Ἀθηνόδωρον, ne jouaient pas seulement des pièces de l’ancien répertoire. Malgré l’affaiblissement du génie poétique, qui suivit à Athènes la perte de la liberté, on représentait encore de temps à autre des tragédies et des comédies nouvelles. Alors le poète recevait de l’archonte une troupe de comédiens. Mais, comme ces divers protagonistes n’étaient pas tous, eux et leurs aides, égaux en mérite, l’archonte, pour éviter tout soupçon de partialité, tirait au sort l’ordre dans lequel les tribus et les poètes rivaux pouvaient choisir leurs comédiens. Ce tirage au sort s’appelait νέμησις ὑποκριτῶν. Le poète couronné avait, l’année suivante, le droit de choisir le premier ses trois principaux acteurs[1].

Jusqu’ici nous n’avons encore rien vu qui ressemblât exactement à ce que les Anglais appellent un manager, les Italiens un impresario, et nous un directeur ou entrepreneur de spectacle, c’est-à-dire un spéculateur qui, n’étant lui-même ni poète ni acteur, prend à ferme une troupe de comédiens, et les fait jouer à ses risques et périls. Cette sorte, je ne dirai pas d’organisation, mais d’exploitation théâtrale, la seule à peu près que nous ayons aujourd’hui sous les yeux, fut la dernière et la plus triste phase du théâtre antique.

Les comédiens de tout genre et de tout ordre s’appelaient, οἱ περὶ τὸν Διόνυσον τεχνῖται, les artisans de Bacchus. Toutes les personnes consacrées au culte de Bacchus, tragédiens, comédiens, mimes, pantomimes, chanteurs, citharèdes, aulètes, etc., prenaient indistinctement ce titre honorifique, et formaient une vaste corporation ou confrérie, sans préjudice des sociétés particulières de tragédiens, de comédiens, de mimes, etc., qui se rangeaient sous la direction d’un protagoniste, et quelquefois, comme nous le verrons, sous les ordres d’un simple entrepreneur, appelé en Grèce ἐργολάβος[2], et chez les Romains locator scenicorum[3]. Ces artisans dionysiaques se tenaient réunis dans de certaines villes, à Athènes[4] et à Thèbes[5], par exemple, où ils avaient une habitation commune

  1. Hesych. et Suid. — Boettiger (De Actor. prim. ; secundar. et tert. partium, pag. 315, not.) soutient à tort, suivant moi, que ce n’était pas le poète vainqueur qui avait, l’année suivante, le droit de choisir ses comédiens, mais les comédiens couronnés qui pouvaient choisir leur poète. Cf. Hemsterh., ad Lucian., pag. 167, C. — Je ne crois pas que Grysar (de Tragœd. circa tempora Demosth.), ni Groddeck (Prolus. de scena Grœcor., pag. 82, seq.) soient mieux fondés à soutenir que le poète une fois vainqueur pouvait toujours choisir les acteurs à sa volonté.
  2. Athen., lib. VIII, pag. 350, E.
  3. Grut., Inscript., 1024, 5 ; Orelli, n. 2629.
  4. Boeckh., Inscript., n. 349.
  5. Leake, Trav. in North. Greece, tom. II, pag. 225.