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Ainsi, vers la fin du dernier siècle, l’aristocratie irlandaise, incapable de porter sa tâche, avait, à titre de soulagement, sollicité et obtenu une loi qui permettait au pouvoir exécutif, d’une part, de placer des magistrats salariés et révocables dans toutes les localités où les juges de paix ne suffiraient pas au service journalier de la justice ; de l’autre, de faire présider les réunions trimestrielles des juges de paix par un membre éclairé du barreau. Cette loi, le gouvernement s’en sert aujourd’hui contre l’aristocratie qui l’a faite, et pour assurer au pays une justice plus impartiale et une administration plus équitable. En même temps, en choisissant comme lords-lieutenans, comme sheriffs, comme juges, des hommes éclairés et libéraux, il remédie, autant qu’il le peut, au vice fondamental des institutions. Mais ces institutions n’en subsistent pas moins, et le jour où reviendrait au pouvoir un ministère complice de l’aristocratie, l’Irlande retomberait sous une oppression d’autant plus dure que ses tyrans auraient une revanche à prendre et des injures à venger. Ce sont alors, comme par le passé, les protestans les plus fanatiques qui jugeraient, qui administreraient, qui taxeraient une population catholique ; ce sont les protestans les plus fanatiques aussi qui useraient de la force publique au gré de leurs passions et de leurs intérêts.

Et qu’on ne dise pas que la situation serait la même si le pouvoir, au lieu d’appartenir à l’aristocratie, était centralisé. Entre faire le mal et le laisser faire, la différence est grande, surtout quand, après tout, la loi, sinon le droit, est du côté des oppresseurs. Pour parler clairement, un cabinet même ultra tory, s’il devait prendre sous sa responsabilité le gouvernement de l’Irlande, hésiterait à violer les grands principes de justice et d’équité qui, dans un pays comme l’Angleterre, ont toujours tant de puissance et de retentissement ; mais d’un autre côté un cabinet même tory modéré aurait difficilement le courage de résister à l’aristocratie irlandaise réclamant le libre usage de ses antiques priviléges, et s’emparant, au nom de la loi, de l’administration du pays.

Si cela est vrai, il est clair que l’unique moyen de soustraire l’avenir de l’Irlande à l’oppression, c’est d’arracher définitivement le pouvoir aux mains qui en ont tant abusé. On conçoit, d’ailleurs, facilement que, dans l’état actuel du pays, ce pouvoir ne puisse être réuni à la démocratie sans qu’elle en abuse à son tour. Le gouvernement doit donc en hériter, momentanément du moins, et jusqu’à ce que le pays soit capable de le prendre. Déjà quelques pas ont été faits dans cette voie, malgré l’opposition de la chambre des lords, et avec la pleine approbation du parti irlandais. Telles sont les lois qui obligent