Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/223

Cette page a été validée par deux contributeurs.
219
LE THÉÂTRE EN ITALIE.

obligé de respecter un droit acquis, en quelque sorte traditionnel, et de faire comme le voisin. Dans ce siècle, qu’à Rome comme ailleurs on appelle le siècle du progrès, on a craint de paraître rétrograde en se montrant trop ombrageux. D’un autre côté, si Meneghino, le Docteur, Stentarello et autres avaient leur franc parler sur certaines matières, à quel titre aurait-on pu fermer la bouche à l’aimable et discret Cassandrino ? Cette fois donc on a laissé dire et laissé faire, chose rare en Italie, et si parfois le héros des Burattini s’émancipait un peu trop, l’action de la censure ne s’est fait sentir que par de paternels avertissemens[1].

Félicitons-nous de cette indulgence qui laisse toute liberté au pinceau, toute naïveté et toute franchise à la touche. Ce petit tableau de mœurs y a gagné ; le mouvement des groupes en est plus vrai, le coloris plus local, l’ensemble de la composition plus saisissant. Au lieu de ces insipides banalités des grands théâtres qu’on appelle comédies nobles, de ces prétendues peintures de l’homme où l’homme ne ressemble plus qu’à une froide statue jetée toujours dans le même moule, nous avons eu un portrait de l’individu, portrait chargé, mais toujours vivant. Là, au lieu de parler un langage uniforme et apprêté, de s’exprimer en style soutenu (sostenuto), et d’obéir infailliblement à certaines données ridicules, chaque personnage conserve le caractère et parle le langage de sa caste et de sa nation ; Stentarello et Cassandrino sont bien chacun de leur pays : l’un Florentin, l’autre Romain.

Chose singulière et digne de remarque ! l’Italie est peut-être le seul pays de l’Europe où chaque province ait son type comique, personnification des ridicules populaires et de certaines habitudes morales, et où ce type se soit religieusement conservé. La vitalité de ces personnifications et la faveur dont elles jouissent encore sembleraient indiquer que les mœurs et les goûts du peuple n’ont pas changé. L’étude de ces types n’est donc pas sans intérêt ; elle nous montre le caractère de chaque petite tribu italienne sous des faces imprévues, elle aide à la connaissance de la langue et des habitudes nationales, et, en nous mettant à même de comparer ses mœurs d’hier et ses mœurs d’aujourd’hui, elle complète l’histoire du peuple.


Frédéric Mercey.
  1. On nous assure cependant qu’autrefois, lorsque Cassandrino était plus hardi, la police lui a fait passer quelques vingt-quatre heures en prison. Le lendemain, l’aimable directeur prenait mieux ses précautions ; il enivrait l’espion chargé de le surveiller, et recommençait de plus belle, se moquant de tout, même de cet espion et de ses geôliers.