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LE THÉÂTRE EN ITALIE.

lequel il a peur de se perdre, il chausse des bottes qu’il a été obligé de prendre toutes faites, et qui serrent son pied osseux comme un étau ; il boutonne un pantalon anglais qui ne lui permet ni de s’asseoir, ni de se baisser, et à peine de marcher. À chaque pas qu’il fait, il pousse un profond soupir et jette un petit cri ; mais enfin il faut plaire, c’est maintenant une obligation. Cette pensée soutient son courage et l’aide à supporter son martyre.

Cassandrino consulte toutes ses glaces, et se regarde comme un cavalier accompli. Quel n’est donc pas son étonnement, lorsque sa femme se met à éclater de rire en le voyant ! L’infortuné a oublié ses cheveux poudrés, et sa tête, restée blanche, cause cette gaieté de mauvais augure. Il est trop tard pour remédier à cette imperfection ; ses nobles parens, qu’il a conviés à un repas de noces à la villa Borghèse, sont arrivés et l’attendent ; il cache donc le mieux qu’il peut ses cheveux poudrés à frimas sous son chapeau à la nouvelle mode, et les voilà partis pour la noce.

La fête a lieu dans le cirque de la villa Borghèse ; on boit, on mange, on rit, on danse ; c’est un bruit de violons, de hautbois, de tambourins et de castagnettes à devenir sourd. Il faut voir tous ces musiciens, qui n’ont guère plus d’un pouce de haut (la perspective le veut ainsi), s’escrimer à qui mieux mieux, l’un avec son archet, l’autre avec les cimbales ou les tampons de la grosse caisse ; il faut voir surtout le chef d’orchestre debout, l’archet à la main, marquant la mesure, et par momens se démenant comme un possédé quand il s’agit d’accélérer le mouvement d’une valse ou d’une galopade. Mais d’où vient qu’au milieu de toute cette joie Cassandrino, cet aimable boute-en-train, a l’air contraint et rêveur ? d’où vient qu’au lieu de rire il fronce le sourcil, qu’au lieu de danser il reste immobile comme un terme à l’un des coins du cirque, et qu’il repousse obstinément tous les verres pleins qu’on lui offre ? Faut-il attribuer cette morne attitude à la gêne qu’il éprouve dans son nouveau costume ? ou bien a-t-il fait tacitement le calcul de ce que lui coûteront ces folles prodigalités ? Nullement. Cassandrino a oublié qu’il avait des bottes neuves et un pantalon collant ; et, quant à l’argent, il s’en soucie dans ce moment comme des pierres du chemin. Mais alors pourquoi cet air maussade et désespéré ? Hélas ! il faut bien le dire, puisque Cassandrino lui-même, oubliant cette fois sa philosophie, semble prendre à cœur de le faire savoir à tous les invités : Cassandrino est jaloux ! Il vient de s’apercevoir qu’il avait un rival, et que ce rival ne paraissait pas indifférent à la mariée. Cassandrino, que sa gaieté et son sang-froid ont absolument abandonné, s’approche de sa femme et lui parle de se