Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/209

Cette page a été validée par deux contributeurs.
205
LE THÉÂTRE EN ITALIE.

fils qui font mouvoir chacun des membres, en passant dans l’intérieur du corps, et des plombs dont ils sont lestés, de manière à pouvoir obéir à la moindre impulsion donnée, sans perdre jamais leur centre de gravité, permet d’exprimer jusqu’aux nuances du mouvement ; les yeux aussi sont mobiles et suivent l’inclinaison de la tête. Les décorations sont excellentes, et la hauteur des arbres, la grandeur des maisons, de leurs portes et de leurs fenêtres, sont parfaitement calculées pour des acteurs de douze pouces de haut. Ce qui prête par-dessus tout à l’illusion, c’est le naturel et la vivacité du dialogue improvisé, dialogue toujours gai, toujours spirituel, et qui du moins a le mérite de l’à-propos, ce qui à Rome est une véritable bonne fortune. Il n’est donc pas surprenant que les Romains raffolent de Cassandrino, et qu’ils remplissent chaque soir la petite salle du palais Fiano. Ils y rencontrent un ingénieux écho de leurs médisances, et trouvent l’occasion de rire malignement, sans presque rien dépenser, ce qui pour eux n’est pas le moindre des mérites.

Mais quelle est l’ame qui anime ces petits acteurs de bois, et qui leur souffle si à propos ces quolibets piquans, ces plaisantes reparties, et toutes ces drôleries satiriques, qui souvent amusent Rome tout un mois ? Ce charmant improvisateur, qui réunit à lui seul la verve de Carmontel, la finesse de Théodore Leclercq, le naturel parfait et la bonhomie comique d’Henry Monnier, c’est le bon M. Cassandre, joaillier du Corso. Pendant le jour vous le voyez dans sa boutique, la lime ou les pinces à la main, ajustant une pierre sur sa monture, ou fermant les anneaux d’une chaîne. Ne croyez pas trop à sa grande application, et voyez comme le bonhomme, tout absorbé qu’il semble, regarde sournoisement par-dessus ses lunettes ce qui se passe dans la rue. Un geste singulier l’a-t-il frappé, le soir même vous le verrez reproduit le plus exactement du monde au théâtre Fiano. Il y a toujours à Rome quelques fats de passage que leurs ridicules rendent célèbres ; quand notre joaillier aperçoit quelqu’un de ces messieurs dans le rayon de sa boutique, il quitte sa besogne et se place sur le devant de sa porte pour le bien étudier ; quelquefois même il se hasarde à le suivre, attrapant au vol quelques phrases singulièrement accentuées qui le soir feront les délices du parterre de Fiano. M. Cassandre, que le hasard seul a fait l’homonyme de Cassandrino, tout à la fois impresario, maestro et acteur, est donc en même temps un adroit et profond observateur, et par-dessus tout cela il est doué de l’heureuse faculté de pouvoir reproduire ce qu’il a observé avec une verve infatigable, et en faisant vibrer fortement la corde comique.