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arriva, le peuple, qui aime à changer de maîtres, les vit partir avec plaisir ; mais le pouvoir restauré ayant décidé qu’à l’avenir les spectacles ne seraient ouverts que pendant le carnaval, et qu’en tout autre temps on ne laisserait jouer que des acteurs de bois, on les regretta. Cette mesure froissait singulièrement le goût national ; à la longue elle parut tellement odieuse, qu’il fallut bien la rapporter. On toléra donc les comédiens de chair et d’os, et l’on permit aux Romains récalcitrans de se damner en temps ordinaire comme en temps de carnaval. Le carême seul fut excepté. Pendant ce temps, tous les théâtres chôment, même les théâtres de marionnettes. Il est vrai que, par compensation, durant ce saint temps, les spectacles d’un autre genre ne manquent pas ; le peuple, qui trouve les théâtres fermés, remplit les églises.

Les petits théâtres de Rome, où l’on joue le mélodrame et la farce, ressemblent à ces jeux de paume enfumés de nos villes de province, où de pauvres comédiens de passage jouent par occasion. L’aspect des grands théâtres n’est guère plus séduisant. C’est là cependant que Pergolèse, Cimarosa et Rossini ont débuté tour à tour, jetant, avec la prodigalité du génie, leurs divins chefs-d’œuvre à la foule passionnée. Au premier coup d’œil, on dirait de poudreux bazars autour desquels seraient appendus des échantillons d’étoffes de toutes les couleurs. Chacun, en effet, orne sa loge comme bon lui semble ; les rideaux sont drapés ou forment baldaquin, et sur le devant des loges pendent des tentures de velours, de laine et de soie de toutes les nuances. Si ces draperies et ces tentures étaient de même époque, cette bigarrure serait peut-être agréable ; malheureusement il y a là du vieux et du neuf, et même le vieux domine. Cette variété est donc assez déplaisante ; mais chaque propriétaire de loge peut se dire chez lui, et la vanité de chacun est satisfaite.

Les gens qui, lors du départ des Français, avaient substitué des comédiens de bois aux comédiens vivans, promulguèrent, vers la même époque, des règlemens de police pour les théâtres, qui sont peut-être tombés en désuétude, mais qui n’ont pas été rapportés. L’atroce et le ridicule les ont rendus fameux. Chaque place du théâtre devait être numérotée ; cent coups de bâton étaient immédiatement administrés, sur l’échafaud de la place Navone, au spectateur qui prenait la place d’un autre. Cinq ans de galères punissaient le spectateur qui cherchait querelle au portier du théâtre, chargé de distribuer les places, ou aux agens chargés de la police de la salle. Voilà de la justice tout-à-fait turque, et c’est à Rome qu’elle était rendue.