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vous qui l’avez fait ? Ne reprochez donc point à l’Irlande des torts qui sont les vôtres, et que la gravité des maux qu’elle vous doit ne vous serve point de prétexte pour lui retirer l’assistance dont elle a besoin.

Mais est-ce tout ? et est-il bien vrai que l’état actuel de l’Irlande tienne uniquement à ses anciennes souffrances, et que la cause en ait entièrement disparu ? Est-il vrai, en un mot, que depuis l’acte de 1829, les catholiques irlandais n’aient plus rien à demander, rien à désirer ? Est-il vrai du moins que, pour achever une guérison déjà fort avancée, il suffise de détruire ce qui peut rester encore du code de la conquête, et d’assimiler de tout point la législation de l’Irlande à celle de l’Angleterre ? M. de Beaumont n’est point de cet avis, et je ne vois rien à répondre aux motifs graves qu’il fait valoir en faveur de son opinion. Comme c’est ici le point le plus important de la question, je dois m’y arrêter un moment.

Un grand fait a frappé M. de Beaumont. Entre les institutions de l’Irlande et celles de l’Angleterre, il n’existe aujourd’hui que de légères différences. Cependant, d’un côté du détroit, ces institutions sont, jusqu’à un certain point, salutaires et populaires, de l’autre, odieuses et funestes. Il faut donc que l’esprit soit différent si la lettre est la même. Or, la différence, quelle est-elle ? La voici, selon M. de Beaumont. En Irlande comme en Angleterre, l’aristocratie gouverne ; mais en Angleterre, l’aristocratie, sortie de la fusion des deux élémens normand et saxon, a été, pendant une longue suite de siècles, l’expression la plus haute des idées, des sentimens, des besoins nationaux. Qu’il y eût à fonder et à défendre les libertés du pays, à étendre sa puissance, à développer sa richesse, toujours l’aristocratie prenait le premier rang, toujours on la voyait réclamer la plus forte part des fatigues et des dangers. De là, malgré les vices inhérens à toute aristocratie, le respect qu’on lui porte et la confiance qu’elle inspire. De là aussi, dans l’état qui lui est soumis, beaucoup de liberté et de force. En Irlande, au contraire, étrangère par la race d’abord, puis par la religion, l’aristocratie ne s’est jamais mêlée à la masse de la nation que pour l’opprimer, pour l’insulter, pour la dépouiller. De là la haine héréditaire dont elle est justement l’objet. De là aussi la misère et la servitude du pays sur lequel elle a pesé si long-temps.

Ainsi la source des maux de l’Irlande, c’est une mauvaise aristocratie. Tel est le point de départ de M. de Beaumont, tel est le fait duquel, par une analyse rigoureuse, il déduit successivement tous les autres. Peut-être ici M. de Beaumont a-t-il trop cédé au désir de trouver une formule générale qui résumât tous les griefs de l’Irlande et qui