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L’IRLANDE SOCIALE, POLITIQUE ET RELIGIEUSE.

court. Il est facile de voir que M. de Beaumont en sait plus qu’il n’en dit, et que pour ne pas dépasser les limites qu’il s’était imposées, il a abrégé plusieurs parties de son récit. Je citerai le passage où il indique, sans l’expliquer suffisamment, l’espèce de fusion qui, de 1169 à 1360, s’était opérée entre les Irlandais et les Anglo-Normands. Je citerai aussi tout ce qui se rapporte à l’invasion et aux progrès de la réforme en Angleterre et en Irlande. Il y a là un côté important de la question auquel M. de Beaumont ne me paraît pas s’être assez arrêté. Je ne saurais donc trop l’engager, quand viendra la deuxième édition de son livre, à prendre ses coudées franches et à élargir son cadre. Il lui suffit pour cela, j’en suis certain, de puiser dans les notes qu’il a déjà recueillies, peut-être même d’imprimer des fragmens qu’il a déjà composés.

Quand on a lu l’histoire de l’Irlande, on doit comprendre, ce me semble, toutes les souffrances et tous les ressentimens de ce malheureux pays. Aujourd’hui cependant que l’acte de 1829 a complété l’émancipation, et détruit, ou peu s’en faut, les derniers vestiges des lois pénales, pourquoi ces souffrances subsistent-elles ? Pourquoi ces ressentimens ne se calment-ils pas ? Grace à l’administration juste et bienveillante du ministère whig, et à la salutaire influence d’O’Connell, l’Irlande, en ce moment, est paisible ; mais, quand on y regarde de près, il est aisé de voir que le calme n’est qu’à la surface, et qu’en dessous fermentent et s’agitent toutes les anciennes passions. D’un autre côté, il a été constaté par la dernière enquête que la condition matérielle de la population irlandaise est plus fâcheuse, plus misérable aujourd’hui qu’il y a soixante ans. Encore une fois, d’où vient cela ? et comment expliquer cette apparente anomalie ?

Il y a une première explication, c’est que l’œuvre de plusieurs siècles ne se détruit pas en un instant. Voilà une population que, pendant six cents ans, vous avez opprimée, appauvrie, écrasée ; voilà une population que vous avez condamnée à l’esclavage, à la misère, à l’avilissement, et parce qu’un jour il vous plaît de retirer la main de fer qui pesait sur ce pays, parce qu’il vous convient d’appeler cette population à une vie meilleure, vous vous étonnez de ne trouver ni les ressources, ni les sentimens que si soigneusement et si long-temps vous aviez cherché vous-même à étouffer. — Il n’y a rien, dites-vous, à faire avec un pays où les capitaux manquent, où l’industrie existe à peine, où l’agriculture languit. Il n’y a rien à faire avec une population sans activité, sans moralité, sans prévoyance de l’avenir. — En supposant qu’il en soit ainsi, n’est-ce pas vous qui l’avez voulu,