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Une ordonnance du roi, une bulle du pape, avaient aboli un couvent, mais elles ne purent abolir la doctrine à laquelle il avait servi d’asile. Le jansénisme survécut à ceux qui l’avaient attaqué et qui l’avaient soutenu. Il reprit même une certaine faveur sous la régence. Il reparut dans les miracles des convulsionnaires, dans ceux du diacre Pâris, et plus tard dans les Feuilles ecclésiastiques de Fontaine (autre que le Fontaine des Mémoires). Aujourd’hui il subsiste encore dans un grand nombre de familles, non plus dans sa pureté primitive, dans sa doctrine intelligente, mais dans une sorte d’étroitesse finale. La paroisse de Saint-Séverin en est toute peuplée. Chaque année, le jour de la mort du diacre Pâris, on voit arriver à l’église de Saint-Médard un grand nombre de personnes étrangères à cette paroisse, qui, après avoir reçu la communion, vont s’agenouiller autour de la tombe du diacre, et emportent avec ferveur un peu de la terre qui le recouvre.

Si, en expliquant les principales divisions du livre de M. Reuchlin, nous ne nous sommes pas arrêté davantage au détail des faits qu’elles embrassent, c’est que ces faits sont déjà généralement connus, et qu’ils ne peuvent plus être contestés. L’essentiel pour nous était de savoir avec quel soin l’auteur les avait recueillis, et quel était son point de vue en les retraçant. Sous le rapport de l’érudition, l’étude de ce premier volume satisferait entièrement, nous le croyons, le critique le plus difficile et le plus minutieux. M. Reuchlin a puisé à toutes les sources les élémens de son travail. Non content d’employer les documens qu’il pouvait trouver dans les bibliothèques d’Allemagne, il est venu en chercher d’autres dans celles de Paris. Il connaît son XVIe et XVIIe siècles, du commencement jusqu’à la fin. Il sait par cœur son Port-Royal, et tout ce qui l’entoure, et tout ce qui s’y rattache. Dès son entrée en matière, on voit qu’il est à son aise dans ce vaste champ de discussions théologiques et de discussions sociales. Il commence son récit, il dépeint, il narre, non point avec la sécheresse habituelle des érudits allemands, qui ne peuvent faire un pas sans se mettre à couvert sous un bouclier de citations et une cuirasse de notes, mais avec l’habileté d’un homme d’esprit qui possède son sujet et le développe hardiment. Si son livre était écrit pour la France, il ne serait peut-être que trop érudit. Il y a là des minuties et des digressions qui pourraient nous paraître superflues, à nous qui voulons toujours arriver si vite à notre but ; mais il faut songer qu’il s’adresse à cette laborieuse et patiente Allemagne, qui ne se lasse jamais de compter les plus petites fibres du corps qu’elle dissèque, qui, d’ailleurs, doit être moins intimement initiée à toutes les ramifications de cette histoire que nous ne le sommes, ou que du moins nous ne croyons l’être. Le seul reproche que je me permettrais d’adresser à M. Reuchlin, c’est d’avoir disposé ses matériaux sur un plan un peu vague. Son livre a bien une unité, et cependant il paraît disjoint et scindé comme un ouvrage fait avec différentes pensées et à différentes reprises. C’est d’abord l’histoire d’une partie de la famille Arnauld, puis celle des jésuites, puis de nouveau celle des Arnauld. On arrive ainsi à la moitié du premier volume sans deviner que tout cela doit aboutir à l’histoire de port-Royal. Je sais bien que dans une entreprise comme celle-ci,