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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

énergie et de l’opiniâtre volonté de son père. Ici commence la réforme religieuse qui s’étendit jusqu’au cloître licencieux de Maubuisson. La jeune abbesse elle-même donnait l’exemple des vertus qu’elle prêchait aux religieuses, et la description de sa vie ascétique, de ses austérités, n’est pas une des pages les moins curieuses de ce long et intéressant récit. Au milieu de tous ces détails de discipline, de règlemens, de tentatives pieuses et d’opposition mondaine, l’auteur a jeté, comme un touchant épisode, la vie de Le Maître, qui, après avoir remporté, par son éloquence, un éclatant triomphe au parlement, vint déposer les vanités humaines dans une cellule de Port-Royal.

À cette vie si pieuse et si belle d’Angélique succède celle de Jansénius, qui donna son nom à la secte fervente persécutée par les jésuites, celle de Saint-Cyran, ce noble athlète qui rappelle, par sa piété, les beaux temps de l’église primitive, et, par sa patience à toute épreuve, l’héroïsme des martyrs. Puis voici venir le temps des discussions violentes, le temps où le pape condamne, comme une pensée de Jansénius, des principes de dogme que les jansénistes eux-mêmes ne retrouvent point dans les livres de Jansénius, le temps où Pascal lance contre les jésuites le terrible argument des Lettres provinciales, où la haine des adversaires de Port-Royal devient sans cesse plus violente et plus implacable, où Louis XIV enfin, cédant à leurs sollicitations, ordonne l’abolition du jansénisme.

La thébaïde de Chevreuse est proscrite, la sainte communauté dissoute, le couvent envahi par des hommes d’armes, et quelques-uns des plus vénérables cénobites enfermés comme des malfaiteurs à la Bastille. Les nobles défenseurs de Port-Royal, les lumières de l’édifice religieux, disparaissent successivement. D’abord Saint-Cyran, mort dès 1643 en léguant son cœur à d’Andilly, puis Le Maître, puis Pascal, « laissant, dit M. A. de Latour, tomber de son chevet de douleur trois ou quatre pensées dignes de sauver le monde du doute qui déjà l’envahissait de toutes parts[1] ; » puis enfin Angélique, dont ni l’âge ni les persécutions n’avaient pu vaincre la constance, et qui mourut comme une sainte, inébranlable dans sa foi, ranimée au dernier moment par le rayon d’une espérance céleste. « Nous croyons, dit M. Reuchlin, que des miracles se sont opérés sur la tombe d’Angélique. Sa vie même et sa mort furent un grand miracle : le triomphe de la foi sur la faiblesse de la chair. Port-Royal s’efforça, à son exemple, de rester victorieux devant Dieu, tout en succombant aux yeux du monde. L’esprit d’Angélique, ou plutôt l’esprit qui se manifesta si puissamment en elle, ne s’éteignit pas sur son tombeau. Il subsista jusqu’à ce que la communauté de Port-Royal fût anéantie, jusqu’à ce que les murs de cette sainte retraite fussent renversés. Quant aux racines de sa pensée, aux racines profondes de la grace et de la paix céleste, pouvait-on aussi les détruire ? Ceux qui avaient si hautement proclamé la grace de Dieu dans les souffrances et les persécutions, pouvaient-ils être abandonnés par la puissance de Dieu[2] ? »

  1. Études sur l’histoire de France, pag. 280.
  2. Siebentes Buch, pag. 714