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longues et sérieuses études qu’il y a consacrées, nous donne la conviction que ce sera une œuvre vraiment digne de lui. C’est le plus bel éloge que nous puissions en faire. M. Reuchlin vient de publier une partie de son ouvrage. Son premier volume (un véritable volume allemand serré, compact, huit cents pages d’impression) montre qu’il a conçu tout ce travail dans de grandes proportions. L’histoire de Port-Royal n’est pas pour lui l’histoire d’une communauté temporaire, persécutée par un parti et dissoute par des ordonnances. C’est celle d’une idée profonde, vivace, qui tient à tout le mouvement intellectuel des siècles derniers. « Aussi long temps, dit-il, que le jansénisme n’eut pas achevé sa lutte mortelle, l’histoire de Port-Royal fut pour les catholiques un problème insoluble ; mais les protestans de l’Allemagne s’intéressèrent à ces frères en religion que la France repoussait de son sein comme une marâtre. Le jansénisme, le joug insupportable que l’église romaine faisait peser sur la conscience, les convulsions donnèrent immédiatement une ample matière à une polémique haineuse, à des remarques méchantes. Puis arriva l’époque incrédule de la révolution qui ne songeait guère à s’occuper d’une telle question. Mais en perdant sous l’effort de la révolution son importance pratique, le jansénisme a acquis par-là sa véritable maturité et son objectivité. C’est maintenant un sujet déterminé que l’on peut étudier avec le repos convenable. Aussi long-temps que l’on n’aura pas approfondi l’histoire du jansénisme et du jésuitisme, il ne faut pas parler d’une histoire ecclésiastique du XVIIe et XVIIIe siècle, ni d’une histoire du développement intellectuel en France à cette même époque[1]. » Plus loin il ajoute : « Port-Royal fut pour le jansénisme ce que La Rochelle fut pour l’église réformée, » et il cite à l’appui de son large plan de travail ces paroles de M. Royer-Collard : Celui qui ne connaît pas Port-Royal et son histoire, ne connaît pas l’histoire de l’humanité.

L’ouvrage de M. Reuchlin commence par une poétique description de l’Auvergne, et un tableau chronologique et biographique de la maison Arnauld, maison ancienne, considérée, enrichie par de nobles alliances, illustrée par les emplois qu’elle occupa à différentes reprises dans l’armée, dans la justice, dans les finances. Le premier membre de cette famille qui abandonna ses montagnes pour venir se fixer à Paris, fut Antoine Arnauld, auditeur des comptes. C’était en 1585. Son second fils, qui portait le même prénom que lui, devint le célèbre avocat. C’était un homme d’une grande énergie et d’une éloquence entraînante. Ce fut lui qui lança contre les jésuites ce vigoureux plaidoyer dont ils furent épouvantés. Dans le cours de sa longue carrière, il acquit une haute considération. « Les grands seigneurs, les princes, dit M. Reuchlin, lui accordaient toute leur confiance, et le traitaient comme leur égal. Les gouverneurs des provinces, qui à cette époque étaient encore des demi-rois, venaient le voir chaque fois qu’ils arrivaient à Paris, ou chaque fois qu’ils en partaient. Il en était de même des favoris de la régente. »

Il fut le père de vingt enfans, le père du célèbre Robert d’Andilly, du doc-

  1. Vorwort, pag. 2.