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DU THÉÂTRE EN ANGLETERRE.

Norman. — Oui, après notre naufrage nous étions dans un triste état.

Lady Arundel. — Et vous en parlez bien gaiement.

Norman. — Nous autres gens de mer, nous sommes faits ainsi ; j’ai mes jours de tristesse.

Lady Arundel. — Il y a long-temps, je crois, que vous avez quitté l’Angleterre ? Vos parens seront heureux de vous revoir.

Norman. — Je n’ai pas de famille.

Lady Arundel. — Tristes et calmes paroles ! Je voudrais vous servir ; fiez-vous à moi.

Violet. — Fiez-vous à lady Arundel, Norman. L’histoire de vos jeunes années est faite pour émouvoir toute ame de femme.

Norman, à lady Arundel. — Madame, votre voix, comme un son magique, éveille dans mon cœur une corde long-temps muette. Je vous dirai les aventures de l’exilé, si vous voulez les entendre. Elles ne sont pas longues. Jusqu’à ma quatorzième année, j’ai vécu sous le toit d’un bon vieux prêtre de ces environs. Rien n’avait troublé mon enfance paisible ; mais alors des pensées inquiètes et étranges m’assaillirent tout à coup. Quelque chose me manquait dans cette nature si libérale et si belle, et un soir que les étoiles silencieuses et brillantes surveillaient le grand repos de la terre et des ondes, un regret profond et vague se soulevant en moi, je demandai au bon prêtre pourquoi je n’avais pas de mère.

Lady Arundel. — Que répondit-il

Norman. — Il pleura et me dit : Ta famille est illustre.

Lady Arundel, à part. — Cet homme m’a trompée.

Norman. — Il ajoutait que le temps viendrait sans doute où mon passé obscur s’éclairerait d’un bel avenir. Alors, en l’écoutant, il me semblait que mon souvenir me retraçait l’image d’une figure pâle et belle, qui me disait des paroles tendres, de ces mots qui ne sont murmurés que par les mères.

Lady Arundel. — Ô mon Dieu, que je souffre !

Norman. — Alors parut dans le village un homme rude et de manières brutales et franches, un matelot qui racontait mille histoires sur les pays lointains et que j’écoutais avidement. À ces récits, mon cœur s’enflamma ; je voulus courir aussi cet Océan dont les flots baignaient le pied de notre chaumière. Le grand nom de Walter Raleigh faisait palpiter tous les cœurs ; séduit par cette voix qui m’entraînait, je partis avec le matelot.

Lady Arundel. — Et le prêtre ne vous donna pas quelques clartés sur le secret de votre naissance ?

Norman. — Non. Il me laissa partir sans m’opposer d’obstacle, et me dit : Va, fais-toi un nom dont l’orgueil même soit jaloux ; ceux qui te délaissent seront fiers de te retrouver.

Lady Arundel. — Je respire !

Norman. — Votre cœur s’intéresse donc à un étranger, madame ? Vous avez plusieurs fois pâli.

Lady Arundel. — Votre récit me touche beaucoup ; continuez, je vous prie.

Norman. — Le misérable auquel je m’étais fié monta dans une chaloupe avec moi, et quand nous atteignîmes le vaisseau qui lui appartenait, me chargea de chaînes. C’était un pirate. En pleine mer, il me fit remonter sur le pont, et en présence de ses hommes : Enfant, me dit-il avec un sourire, ce n’est pas ma faute, tes chaînes ont été forgées d’or, et cet or est celui de ta mère.