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nombreuse des sots qui veulent des miracles ; je leur en donne. Ensuite vient le nombreux bataillon de ceux qui haïssent les institutions établies et les écoles adoptées, toujours prêts à seconder l’homme qui attaque, jusqu’à ce que, victorieux à son tour, ayant planté le drapeau de sa doctrine, il les voie se retourner contre lui. Jetez sur cette cohue une infusion considérable d’indifférens qui profitent de la circonstance ; esprits madrés, trop habiles pour s’opposer au courant des opinions, flatteurs adroits qui caresseront et protégeront mon système, charmés de lui donner un développement absurde qui le tuera !

« Pourquoi grossir la liste ? Tous ces gens ont leur intérêt à servir, et la vérité leur importe peu. Restent peut-être douze ou quinze pauvres hères qui aiment sincèrement la science, qui ont foi au pouvoir de la vérité ; ceux-là méritent ma sympathie et mes efforts : ce n’est pas la peine d’en parler ! »


Voilà comment le réformateur apprécie ceux qui l’admirent. Ainsi se juge lui-même, au milieu de sa gloire, ce révolutionnaire et ce novateur. Il n’a pas touché le but qu’il voulait atteindre ; il n’a pas découvert le grand mystère de la vie et du monde. La couronne qu’il a obtenue, c’est la réputation, et il la méprise. L’ombre de sa gloire lui fait peur et pitié


« Je le sais bien, dit-il, je suis en avant de mon siècle. Je suis un de ces flots précurseurs qui viennent battre le rivage, long-temps avant que la multitude des vagues le suive et recouvre la côte. Je sais bien quelle sera ma destinée. On usera de ma pensée en la niant, on montera sur mon cadavre en le déshonorant. Orgueil ou vanité, je n’ai rien voulu devoir à mes ancêtres ; on ne voudra rien me devoir. J’ai détruit, on me détruira ; c’est juste. J’ai élevé un échafaudage sur lequel on montera pour découvrir de nouvelles régions de la science. Que m’importe après tout ? J’aurai accompli mon destin, Dieu fera le reste ! »


Convaincu de la vanité de la science et de celle de la gloire, Paracelse cherche enfin le plaisir ; il se plonge dans les délices sensuelles et trouve en échange de sa dernière tentative le mépris des hommes qui se vengent ainsi de ses dédains. Lorsque, malade et mourant sur son grabat de l’hôpital, à Salzburg, Paracelse retrouve auprès de lui Festus, le cordial et simple ami qui ne l’a jamais abandonné, l’auteur touche tout à coup à l’effet dramatique, et l’atteint naïvement par une invention très simple et très belle.


Paracelse, sur son lit de mort — Parle-moi ! Que j’entende ta voix ! Chante quelque vieille ballade. Je ne veux point songer au passé, je ne veux point rêver !… Parle-moi.

Festus, chantant. — « Le Mein est un fleuve charmant dont les flots coulent doucement, à travers les vallons, à travers les prairies ; et ses petits flots qui bruissent font la musique la plus douce. Il coule, il coule paresseux sous le soleil qui brille, au milieu des gazons, au milieu des joncs et des charmantes primevères ; et de temps à autre l’abeille rase ses vagues en bourdonnant, et