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La beauté et la difficulté de cette analyse ont séduit l’imagination de Robert Browning. Le drame intérieur, qui se joue chez tous les hommes célèbres et grands, et qui prend un caractère de frénétique beauté chez un personnage tel que Paracelse, moitié sublime et moitié fou, a exercé sur le jeune poète, dont l’intelligence est évidemment subtile et profonde, une fascination irrésistible ; il a tenté d’en faire l’œuvre précisément la plus opposée à la nature même de ses pensées et de son sujet, une pièce de théâtre. Il n’y a pas de plus étrange petit livre que le sien. Descendant en ligne directe de Wordsworth pour la dissection métaphysique des idées, de Goethe pour la poésie plastique et extérieure, et de Byron pour le scepticisme, l’auteur a cru que ces élémens, précieux d’ailleurs, feraient un drame. En effet, ce sont des scènes, et il n’y manque, pour que l’œuvre soit dramatique, qu’une toute petite chose, le drame. Au premier acte, Paracelse déclare à ses amis qu’il veut chercher, au péril de son bonheur, la science et la gloire. Au second acte, ayant beaucoup voyagé, il découvre que la science n’est pas tout, qu’elle tue l’amour, et que sans l’union des deux facultés, amour et intelligence, l’ame humaine languit et meurt. Au troisième acte, il revient en Europe, professe la médecine à Bâle, atteint la gloire, augmente son crédit en mystifiant les hommes, et retombant sur lui-même avec plus de douleur que jamais, reconnaît la misère de ces trois ruines dont il est possesseur, science incomplète, amour impuissant, gloire menteuse. Au quatrième acte, il redescend de ses sublimes inspirations, demande à la volupté terrestre l’oubli de son ennui et de ses peines, retrouve quelque paix et quelque espérance dans la foi vulgaire et dans l’abnégation de l’orgueil, et finit par mourir à l’hôpital de Salzburg. Tout cela se passe entre quatre personnes, ou plutôt ce n’est qu’un monologue en deux mille vers, interrompu par quelques questions incidentes. Festus, l’homme simple et l’ami dévoué ; Michal, sa femme ; Aprile, jeune homme beau comme Apollon, symbole de la poésie et des arts, ne prennent la parole de temps en temps que pour donner à Paracelse l’occasion de plonger le scalpel dans sa propre pensée, d’interroger l’immensité de ses désirs, le désespoir de ses efforts et le dédain que lui inspirent son succès et l’admiration du genre humain. Voilà tout. Jamais drame n’osa se présenter avec de tels élémens. Nul mouvement, nulle péripétie, nulle catastrophe ; rien qu’une élégie éloquente, suivant dans son cours tortueux la vie de Paracelse, comme le soleil et les nuages marquent d’ombre et de lumière le Rhin tombant en nappes bouillonnantes, disparaissant sous