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c’est-à-dire à l’élégie, comme chez Rowe et Otway, ou à l’emphase comme chez Dryden et Young, ou à la simple curiosité d’un évènement qui se débrouille, et d’une énigme qui se résout. Nous trouvons ces différens caractères parfaitement marqués dans l’histoire littéraire de la Grèce. Eschyle s’empare du mythe, qu’il transforme en action ; Sophocle crée ensuite le drame épique ; Euripide penche vers l’élégie et affaiblit toutes les nuances. C’est là ce que blâme Aristophane, lorsque ce grand critique montre Euripide traînant des haillons, poussant des soupirs, et récitant des maximes. Après Euripide, un théâtre matériel, artificiel et factice apparaît un moment pour s’évanouir. En Angleterre, le même phénomène et le même développement ont lieu à travers les révolutions et les guerres civiles, quoique l’organisation d’une société demi-puritaine contrarie sans cesse la marche naturelle du drame. Sous Jacques Ier, la sévérité religieuse commence à frapper le théâtre. Il meurt sous Cromwell, pour renaître sous Charles II, tout chargé de licence, de prétentions et de puérilités ; à travers le XVIIIe siècle, il s’étiole et se corrompt, tour à tour bourgeois et larmoyant, burlesque et libertin, augmentant ses ressources scéniques et perdant sa force intime, jusqu’au moment où les pâles esquisses de Richard Cumberland et les comédies sans vigueur d’Arthur Murphy envahissent les trois théâtres de Hay-Market, de Covent-Garden et de Drury-Lane. Deux hommes remarquables, Goldsmith et Sheridan, combattent à force de gaieté et d’observation l’influence philosophique et sentimentale, qui s’est emparée de l’art tout entier. Leur exemple n’est pas suivi ; et lorsque le XIXe siècle s’annonce par les chefs-d’œuvre de Godwin, de Byron et de Walter Scott, le théâtre anglais continue à déchoir.

Alors se fait la triple tentative dont nous avons parlé plus haut ; on veut renouveler la scène par l’archaïsme, ou l’imitation de Massinger et de Webster, par l’analyse philosophique des mobiles humains, par l’imitation de Sophocle et d’Eschyle. Lord Byron, poète passionné et méditatif, se révolte contre le drame accidenté de Shakspeare et sa libre observation des caractères. Il produit des tragédies admirables, qui ne seront jamais des drames complets ; l’égoïsme éloquent du poète y occupe tout l’espace. Sardanapale, c’est Byron monarque d’Orient ; Foscari, c’est Byron encore ; et le doge, et Manfred, Byron encore. Malgré la monotone énergie du ton et de la couleur, ces œuvres dramatiques l’emportent sur les nombreux pastiches du drame ancien, auxquels l’admiration de Dekker, Marlowe et Marston a donné naissance depuis 1800. Elles s’élèvent au-dessus des nom-