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demande conseil, qu’il imite librement les plus belles œuvres de l’art antique et moderne ; mais qu’il ne néglige jamais de comparer les styles des modèles qu’il choisit avant de les associer dans une œuvre nouvelle. Sans ce travail préliminaire, ses conceptions les plus heureuses seront toujours dépourvues d’unité.

Le modèle en marbre d’un monument consacré à la mémoire de M. Nicolas de Démidoff ne justifie pas la réputation dont jouit M. Bartolini à Florence et dans toute l’Italie. Il y a quelques années, nous avons vu à Paris un buste de Rossini du même auteur, qui ne se distinguait ni par l’élégance ni par la vérité ; le monument que nous avons sous les yeux est une composition assez incohérente, dont l’exécution ne mérite pas de grands éloges. Le groupe principal représente M. Nicolas de Démidoff assis et s’appuyant sur l’Amour filial. À ses pieds, la Reconnaissance agenouillée lui présente une couronne. Aux quatre coins du piédestal sont assises quatre statues allégoriques : la Sibérie, la Charité, Terpsichore et la déesse des festins. Je ne me charge pas d’expliquer pourquoi ces quatre figures se trouvent réunies autour d’un tombeau ; je ne devine pas comment Terpsichore et la déesse des festins se rattachent à la Charité, ni comment la Charité elle-même se rattache à la Sibérie. Que le statuaire ait voulu rappeler la bienfaisance et la générosité de M. Nicolas de Démidoff, je le conçois sans peine ; mais à moins qu’il n’ait protégé d’une façon toute spéciale l’art chorégraphique et l’art culinaire, je ne vois pas pourquoi Terpsichore et la déesse des festins se trouvent placées près de la Charité. Quant à la Sibérie, je suppose qu’elle n’est pas seulement destinée à indiquer la patrie de M. de Démidoff, et qu’elle exprime en même temps l’origine de sa fortune. Quels que soient les motifs qui justifient la présence de chacune de ces figures prise en particulier, il me semble impossible, poétiquement parlant, de concevoir la réunion de ces quatre figures autour d’un tombeau. Si de la composition générale du monument nous passons à la composition individuelle du groupe principal et des quatre figures allégoriques, nous n’avons pas lieu d’être beaucoup plus satisfait. M. Nicolas de Démidoff est bien assis et ne manque pas de gravité ; l’Amour filial n’est qu’insignifiant ; quant à la Reconnaissance, elle a le tort de ne pas regarder l’homme qu’elle veut couronner. Elle est affaissée sur elle-même et détourne la tête. Si M. Bartolini a voulu réunir dans cette figure l’expression de la reconnaissance à l’expression de la douleur, à mon avis il s’est trompé, car la statuaire s’accommode difficilement d’une telle complication. La