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et qu’aucun raisonnement ne saurait la justifier. Il n’est pas moins certain que pas un de MM. les membres de la quatrième classe n’est capable de faire un groupe d’animaux comparable aux groupes dont nous parlons, pour l’énergie des attitudes, la science anatomique, et la finesse de l’exécution. Quoique les sculpteurs d’un mérite aussi éminent ne soient pas nombreux, il n’est donc pas impossible qu’il y ait parmi les ouvrages refusés des morceaux égaux, sinon supérieurs, à la plupart de ceux que nous voyons au Louvre.

M. Cortot, l’un des membres du jury, a exposé un groupe de deux figures, Jésus-Christ sur les genoux de la Vierge. Ce groupe, exécuté en bronze doré pour l’église de Notre-Dame-de-Lorette, se distingue par une vulgarité générale. Les lignes sont loin d’être heureuses, les têtes ont une expression difficile à déterminer, et les draperies sont ajustées avec une gaucherie, une lourdeur dont la sculpture offre bien peu d’exemples. Si, laissant de côté toute la partie poétique de la statuaire à laquelle M. Cortot paraît n’avoir pas songé, nous étudions ce groupe sous le rapport de la réalité, nous ne serons guère plus satisfait. La tête de la Vierge est modelée avec une sécheresse, une dureté qu’on a peine à concevoir. Puisque M. Cortot renonçait à consulter la tradition, et ne voulait reproduire aucun des types de la Vierge-mère créés par la peinture et la statuaire pendant le XIVe, le XVe et le XVIe siècle, il devait naturellement consulter la nature vivante. Or, la nature vivante ne fournit pas les élémens dont M. Cortot a composé la tête de la Vierge : ni le front, ni les yeux, ni les lèvres n’appartiennent à la réalité ; les mains se composent de phalanges courtes, et sont absolument dépourvues d’élégance. Quant au Christ, il mérite des reproches encore plus sévères. Non-seulement la tête n’a rien de divin, rien même d’élevé, non-seulement les plans musculaires du torse et des membres sont modelés avec une rondeur et une monotonie désespérantes ; mais les jambes ne pendent pas. Le groupe de M. Cortot ne relève, ni de l’art antique, ni de l’art chrétien ni de la réalité ; l’auteur n’a consulté ni la tradition ni la nature : aussi ne faut-il pas s’étonner s’il a produit une œuvre dépourvue de vie aussi bien que de beauté. Le Soldat de Marathon, placé aux Tuileries, dont l’attitude est si ridicule, et présente des lignes si malheureuses, est certainement très supérieur par l’exécution au groupe dont nous parlons ; car s’il manque de hardiesse et de grandeur, il offre du moins plusieurs parties étudiées et rendues avec soin. Le groupe exposé au Louvre, nul sous le rapport poétique, n’est qu’une imitation très infidèle de la réalité.