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sont jamais contentés de copier les modèles qu’ils avaient sous les yeux. Tous les artistes éminens ont compris la nécessité d’interpréter la nature pour lutter avec elle. M. Hornung est bien loin d’avoir transcrit la réalité ; les modèles de ses portraits n’existent certainement nulle part ; on ne trouve en aucun pays des visages d’ivoire et des cheveux d’acier. Pour donner à ses portraits un accent de vérité, M. Hornung a cru devoir étudier à la loupe les détails les plus mesquins du visage ; il a dressé procès-verbal de toutes les taches qui se rencontraient sur la peau de ses modèles, et sans doute il a trouvé parmi ses amis de nombreux approbateurs. Mais il n’y a rien de commun entre la tâche du peintre et l’office du greffier. Les gerçures des lèvres, les rides et les verrues ne sont pas et ne seront jamais la partie importante de la peinture. Or, il y a tel portrait de M. Hornung dont les lèvres rappellent le ton d’une muraille moisie, tel autre dont les tempes sont ornées d’une foule de caps et de promontoires. Il est possible que la famille et les amis du modèle pleurent de joie et d’admiration en regardant ces portraits ; pour nous qui n’avons à juger dans ces œuvres que le mérite de la peinture, nous sommes forcé de déclarer que les éloges prodigués à M. Hornung sont fort exagérés. La patience et l’adresse sont assurément deux qualités très recommandables, mais ne sauraient suffire pour faire un bon portrait. Si M. Hornung veut garder la réputation dont il jouit dans sa patrie, je lui conseille de ne plus rien envoyer au Louvre.

Les dix portraits envoyés par M. Champmartin ne valent pas ceux qui ont fondé la juste célébrité de l’auteur. Parmi ces dix têtes, il n’y en a pas une qui puisse être comparée aux portraits de M. Portal, de M. Desfontaines ou de M. le duc de Fitz-James. Les trois portraits dont nous parlons ne se distinguaient pas seulement par une rare habileté, et révélaient une étude patiente, le désir ardent de lutter avec la nature. À l’époque où M. Champmartin peignait ces ouvrages si légitimement admirés, il variait ses procédés selon le caractère spécial de ses modèles ; l’étude de chaque tête lui suggérait des moyens nouveaux et inattendus. Quoiqu’il fût déjà depuis long-temps sûr de sa main, quoique le pinceau obéît à sa volonté, il se contentait difficilement, et le public s’en trouvait bien. Aujourd’hui, nous le disons avec regret, M. Champmartin n’est pas assez sévère pour lui-même, et néglige trop souvent d’étudier le caractère spécial des têtes qui posent devant lui. Quand il rencontre un modèle dont le caractère s’accorde avec les habitudes de son pinceau, il réussit à peu près à le copier ; mais lorsqu’il a devant lui une tête d’une con-