Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/105

Cette page a été validée par deux contributeurs.
101
SALON DE 1840.

Quant à l’indifférence dont se plaignent les artistes contemporains, ils ne doivent chercher qu’en eux-mêmes la cause de cette fâcheuse disposition du public ; si la foule accueille sans empressement l’ouverture du salon, ce n’est pas parce que nous avons un salon tous les ans, mais bien parce que les peintres et les statuaires subissent les salons annuels, au lieu d’en profiter. Les salons annuels ont cela d’excellent, qu’ils permettent à chacun de montrer son œuvre presque aussitôt qu’il l’a terminée ; malheureusement les sculpteurs et les peintres se croient obligés d’exposer chaque année une œuvre nouvelle ; ils se hâtent de produire, et n’envoient trop souvent au Louvre que des œuvres insignifiantes. Il ne tient donc qu’à eux de changer les dispositions du public ; qu’ils produisent lentement, qu’ils prennent tout le temps nécessaire à l’exécution de leurs projets, et l’indifférence fera place à l’attention. Cette année, les ouvrages importans sont en petit nombre : aussi quelques pages nous suffiront-elles pour l’analyse et la critique du salon.

Les portraits de M. Hornung, de Genève, étaient annoncés depuis long-temps comme des merveilles destinées à faire une véritable révolution ; Titien, Rubens et Van Dyck n’avaient jamais produit rien de pareil. Nous avons étudié attentivement les portraits de M. Hornung, et nous sommes convaincu en effet que les écoles de Venise et d’Anvers n’ont rien de commun avec les portraits admirés à Genève. Il n’y a pas une des toiles envoyées par M. Hornung qui puisse être comparée aux têtes de Titien, de Rubens et de Van Dyck ; nous adoptons pleinement l’opinion émise par les admirateurs de M. Hornung. Les écoles de Venise et d’Anvers se recommandent par la franchise, par la vérité de la couleur, et ne négligent jamais ce qui peut donner au visage humain de l’élégance et de la grandeur ; or, on ne trouve rien de pareil dans les portraits de M. Hornung. J’accorderai, si l’on veut, qu’il a fallu, pour achever ces portraits, une patience miraculeuse, une adresse remarquable ; mais il m’est absolument impossible d’y découvrir quelque chose qui appartienne à l’art de la peinture, tel que l’ont compris les maîtres illustres dont l’histoire a gardé le nom. Toutes les chairs peintes par M. Hornung rappellent uniformément le ton de l’ivoire enfumé ; les cheveux et la barbe ressemblent tantôt à des fils d’acier, tantôt à des fils de verre. Il n’y a là rien qui relève de la réalité. Lors même que M. Hornung eût réussi à transcrire littéralement les modèles qui ont posé devant lui, ses portraits seraient encore bien loin de défier la critique ; car personne n’ignore que Titien, Rubens et Van Dyck ne se