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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

On pourrait multiplier les citations de tels traits ingénieux ; mais ses inspirations les plus familières en avançant, et pour nous les plus pénétrantes, sont celles où respire le pressentiment de sa fin. D’assez fréquens voyages dans son pays natal, en Vendée, ou plus loin aux eaux des Pyrénées, ou à la terre de M. de Biran au bord de la Dordogne, ne diminuaient que peu les douleurs toujours renaissantes. Il traduisait en vers Tibulle dans ses intervalles de loisir, et, comme lui, il parlait à ses amis de sa mort prochaine :

Vivite felices, memores et vivite nostri,
Sive erimus, seu nos fata fuisse velint
.

C’est ce qu’il exprime bien mélancoliquement dans son élégie, le Lit de mort ; c’est ce qu’il reprend avec un attendrissement redoublé dans celle qu’il intitule : le Retour à la Vie. De telles pièces où peut pâlir la couleur, mais où chaque mot fut dicté par le sentiment, ne devraient jamais vieillir :

Quelle faveur inespérée
M’a rouvert les portes du jour ?
Quel secourable Dieu, du ténébreux séjour
Ramène mon ombre égarée ?
Oui, j’avais cru sentir dans des songes confus
S’évanouir mon ame et défaillir ma vie ;
La cruelle douleur, par degrés assoupie,
Paraissait s’éloigner de mes sens suspendus,
Et de ma pénible agonie
Les tourmens jusqu’à moi déjà n’arrivaient plus
Que comme dans la nuit parvient à notre oreille
Le murmure mourant de quelques sons lointains,
Ou comme ces fantômes vains
Qu’un mélange indécis de sommeil et de veille
Figure vaguement à nos yeux incertains.

Vous m’êtes échappés, secrets d’un autre monde,
Merveilles de crainte et d’espoir,
Qu’au bout d’un océan d’obscurité profonde,
Sur des bords inconnus je croyais entrevoir.
Tandis que mon œil vous contemple,
L’avenir tout à coup a refermé son temple,
Et dans la vie enfin je rentre avec effort.
Mais nul impunément ne voit de tels mystères,
Le jour me rend en vain ses clartés salutaires,