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REVUE DES DEUX MONDES.

Une grande cour précède la façade principale, chargée d’ornemens de marbre, de riches pilastres et de balcons qui feraient honneur à la résidence d’un souverain. En gravissant l’escalier le plus riche et le plus majestueux, on croit, en effet, se rendre à une audience royale et non à la retraite de quelques cénobites ; ces degrés, divisés en deux bras surmontés de belles voûtes de stuc ornées de sculptures, se réunissent en un superbe pérystile, et s’élèvent de là jusqu’aux étages supérieurs. Cinquante colonnes de marbre blanc, entourées d’une haute balustrade de marbre, décorent ce péristyle. Là s’ouvrent devant vous d’immenses galeries garnies de tableaux et régulièrement percées de portes qui mènent à l’appartement de chacun des pères. Celui de l’abbé avait été récemment occupé par le marquis del Caretta, venu à Catane pour réprimer l’émeute. Il avait désigné, en partant, une commission militaire pour juger le colonel Danielo, qui n’avait pas réussi à désarmer la population de Catane dans les derniers troubles, et le président de ce tribunal de rigueur, le plus doux et le plus bienveillant des hommes, habitait encore l’appartement du prieur où je le trouvai. C’était le général Luigi Caraffa, l’un des cadets de cette illustre race des princes Caraffa, qui depuis des siècles est en possession de produire de vaillans capitaines, des hommes d’état, des gens d’esprit et des artistes pleins de talent. Je vous ai déjà dit que le général Caraffa avait été remplacé dans le beau commandement militaire de Messine qu’il exerçait, et envoyé à Noto, petite ville du midi de l’île. À son passage à Catane, on lui avait confié la pénible fonction de chef du conseil de guerre qu’il se préparait à présider, et j’ai appris depuis qu’il avait su concilier la rigueur de ses devoirs avec la noblesse de ses sentimens d’humanité. Le sombre appareil de la justice militaire n’était pas fait sans doute pour égayer la gravité d’un séjour monastique ; mais de temps en temps le bruit des bottes éperonnées d’un cavalier napolitain, qui retentissaient sur les dalles, troublait le silence éternel du cloître, et l’apparition de quelques rouges uniformes suisses de la garde du roi variait un peu l’effet monotone des robes blanches et des manteaux noirs des pères bénédictins.

Il n’est personne ayant un cœur droit et chaleureux, que ce cœur se soit brisé ou bronzé aux peines de la vie, comme il arrive à tout homme vers son âge mûr, au dire de Chamfort ; il n’est personne ainsi doué qui puisse visiter un beau monastère, ombragé d’arbres touffus, couvert de grands arceaux, orné de nobles et chastes peintures, sans former le dessein de renoncer au monde, et de partager la sainte soli-