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LA CHOUANNERIE EN BRETAGNE.

Il n’avait pas achevé que six coups de feu partirent. Les soldats, surpris, crurent qu’ils étaient tombés dans une embuscade et se dispersèrent. Au même instant, le chef royaliste, suivi de cinq de ses hommes, s’élança d’un sillon et se trouva en face de la jeune paysanne.

— Jeanne ! s’écria-t-il stupéfait.

— Par les genêts, par les genêts, maître, dit-elle en entraînant Boishardy vers le côté du champ qu’elle savait n’être point gardé.

Ils venaient de franchir le fossé lorsqu’un coup de feu partit ; le chouan s’arrêta.

— Ah ! la Royale est morte, dit Jeanne avec un éclat de joie féroce.

— Malheureuse ! s’écria Boishardy.

Et revenant sur ses pas il voulut regagner le verger ; mais à peine eut-il repassé la haie que deux coups de feu l’atteignirent. Il tomba sans pousser un soupir ; les deux balles lui avaient traversé les poumons.

Telle fut la fin de cet homme qui eût dû naître au temps du Cid et succomber dans quelque noble guerre contre l’étranger. Sa mort fut comme sa vie, quelque chose de romanesque et d’imprévu, mais d’heureux après tout, car il périt sans agonie, sous les pommiers en fleurs et les lèvres encore tièdes de baisers. Sa tête fut coupée par quelques misérables qui la promenèrent en triomphe dans les paroisses. Lorsque Hoche l’apprit, il pleura de honte et écrivit à l’adjudant-général Crublier de faire arrêter tous ceux qui avaient pris part à ce crime contre l’honneur ; — langage étrange et nouveau sans doute après les massacres de la Vendée, mais qui annonçait à tous que le règne des folies sanglantes était passé, et que si la révolution était encore une tempête, ce n’était plus du moins une tempête dans un égout.


Émile Souvestre.