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refuge contre les chaleurs pestilentielles de l’été, occupe le contrefort d’une montagne située au centre de l’île. La vue que l’on découvre de ce point est admirable. Les murailles de Constantinople, Scutari et la côte de Chalcédoine ferment, à droite, l’horizon qui s’étend, à gauche, aussi loin que la paisible Propontide. Après avoir joui d’un splendide coucher de soleil, nous descendîmes au village où, dans une auberge tenue par un Marseillais, nous attendait un bon repas provençal. Vers onze heures, la brise de nuit souffla, et nos marins nous firent remonter dans la barque. Un ciel étoilé et une lune brillante comme le soleil du nord guidèrent notre marche ; le lendemain de bonne heure nous arrivions à Moudania. Cette misérable ville possède une bonne rade. Voisine de Brousse, dont elle est l’échelle, elle doit à cette position assez d’importance. Grace à notre firman de poste, nous obtînmes facilement des chevaux ; mais pour des coursiers arabes, ils étaient fort dégénérés.

Brousse est à cinq lieues environ de Moudania. Le pays que l’on parcourt pour s’y rendre est d’une admirable fertilité ; les Turcs, plus actifs dans cette contrée que dans les autres parties de l’empire, se livrent aux travaux de l’agriculture ; la campagne offre un aspect d’aisance et de prospérité qui étonne le voyageur dont les yeux sont attristés à quelques toises même de Constantinople par une nature entièrement morte. De nombreux plants de mûriers annoncent de loin l’industrie de Brousse, si célèbre en Orient par ses manufactures de soieries. Avant d’arriver à la grande vallée de Brousse, qui passe avec raison pour être l’une des plus belles du monde, nous traversâmes plusieurs vallons fertiles où les lauriers-roses croissent sur les bords des ruisseaux, et où les grenadiers aux fleurs écarlates se mêlent aux tristes cyprès ; le fond du tableau est majestueusement dominé par l’Olympe, dont Brousse occupe les premiers mamelons. Cette ville très considérable, puisque sa population s’élève à plus de cent mille habitans, sectateurs de Mahomet pour la plupart, n’est belle que par sa position. Elle remonte à une haute antiquité ; sous le nom de Prusée, elle était la capitale de la Bithynie. Les craintes du roi Prusias se réalisèrent, les aigles romaines poussèrent leur vol hardi jusqu’à l’Olympe, et on en voit encore les empreintes sur les ruines d’un vieux château dont la cour à demi comblée sert aujourd’hui d’arsenal. Trois canons dont le premier est démonté, le second encloué, et le troisième en aussi bon état que les autres, composent tout le matériel de l’artillerie ; néanmoins il nous fallut pour le visiter une permission spéciale. Les Romains dégénérés en Grecs du Bas-Empire durent reculer devant