Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/903

Cette page a été validée par deux contributeurs.
895
REVUE. — CHRONIQUE.

cité gouvernementale de la gauche, sont loin de nous rassurer. Si nous comptons sur la sagesse politique de M. Thiers et du cabinet actuel, ce n’est pas parce que, mais quoique. Nous espérons que tout en laissant aux hommes et aux journaux de la gauche cette intempérance de paroles qu’il lui est impossible de réfréner, et dont il ne faut ni trop s’irriter ni trop s’alarmer, le cabinet du 1er mars ne songe nullement à jeter le trouble dans nos institutions et à tenter des expériences insensées. Au surplus, si nous croyons qu’il serait téméraire de le renverser avant de l’avoir mis à l’épreuve, nous ne demandons pas non plus pour lui une confiance aveugle, un concours illimité. Un homme éminent a résumé le rôle du parti conservateur à l’égard du ministère en deux mots qui nous paraissent parfaitement justes : il faut le soutenir et le contenir. C’est dire que le parti conservateur doit à la fois appuyer et observer le ministère ; lui prêter son concours en connaissance de cause pour toutes les mesures conformes aux principes et à l’esprit de notre gouvernement, le lui refuser le jour où il deviendrait manifeste qu’il prétend dévier de ces principes, et qu’il est, comme on dit, à la remorque de la gauche. Mais serait-il juste, sage, prudent de tenir ce fait pour établi avant d’en avoir eu la moindre preuve, et par cela seul que les journaux de la gauche ont battu des mains à l’avènement ? C’était habile à eux : la preuve en est la colère qu’ils ont excitée chez les conservateurs, et qui, si elle devait produire tous les résultats qu’on en attend, aurait pour résultat nécessaire de faire de plus en plus de M. Thiers et de ses amis des hommes de la gauche. Est-ce à nous de seconder la tactique de la gauche et de lui amener, bon gré, mal gré, par nos emportemens, nos injures, nos dédains, un renfort si puissant, un chef si éminent ?

Le rôle que le parti conservateur doit jouer dans la chambre est un rôle difficile, et plus difficile que brillant, nous n’en disconvenons point. — Il est plus simple, plus hardi, plus décisif de monter à l’assaut et de renverser un ministère. — Là est la question. Que ce fût là le parti le plus décisif, le plus hardi, nul ne le conteste ; que ce fût en même temps le plus simple, nous sommes loin, très loin d’en convenir. Pour nous, la conséquence inévitable de ces hardiesses est la dissolution très prochaine, immédiate peut-être de la chambre. Un seul doute peut rester dans notre esprit : cette dissolution, par qui et au profit de qui sera-t-elle faite ? Qu’on réponde comme on voudra, à nos yeux le péril est toujours immense, plus encore redoutable peut-être, si la dissolution est faite contre M. Thiers que si elle était faite pour lui. Faite contre lui, il doit nécessairement abandonner les élections à toutes les influences irrégulières et désordonnées qui viendront se mettre à son service ; faite pour lui, nous ne croyons pas que M. Thiers, disposant des influences gouvernementales, voulût, de gaieté de cœur, travailler à devenir l’instrument servile d’un parti qui, arrivant en majorité à la chambre, le briserait sans façon le jour où il résisterait à la moindre de ses prétentions. Sans doute plusieurs des membres de la chambre pourraient ne pas être réélus ; le gouvernement n’appuierait