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REVUE. — CHRONIQUE.

Passy ; faute irréparable. En politique, les occasions perdues ne se retrouvent jamais. Les faits se chargeront de prouver que nous ne nous trompons pas.

Une fois le 12 mai dissous, l’avénement de M. Thiers était tellement indiqué, tellement nécessaire, que nul n’a sérieusement imaginé un ministère sans lui. On se demandait seulement quels seraient les hommes, quelles seraient les fractions de la chambre qui contribueraient à la formation de la nouvelle administration.

Il serait inutile de rechercher ici comment on est arrivé, assez promptement du reste, au terme de la crise ministérielle, à ce cabinet du 1er mars, qu’on se propose aujourd’hui de renverser. Le renverser ! Pourquoi ? Pas du moins à cause de son origine. Eh quoi ! on a renversé par embuscade et guet-apens le 12 mai, on a rendu par cela même l’avénement de M. Thiers indispensable, et les mêmes hommes voudraient, le jour d’après, venger sur le cabinet Thiers les coups qu’ils ont eux-mêmes portés au cabinet Soult ! Et les hommes du 12 mai, encore tout meurtris de leur chute, tendraient la main à ceux qui les ont renversés, pour renverser à leur tour le seul cabinet possible aujourd’hui !

Ce n’est pas, dit-on, à cause de son origine, c’est à cause de ses tendances qu’il importe de le renverser au plus tôt. Il est impossible d’accorder un vote de confiance à un ministère centre gauche s’appuyant sur la gauche, impossible aussi d’endurer les dédains, les provocations, l’outrecuidance des journaux pour la première fois ministériels. Plier vers la gauche, serait une manœuvre parlementaire aussi déshonorante pour les centres que désastreuse pour le pays. Faut-il, pour éviter une nouvelle crise ministérielle, aider M. Thiers à élever M. Barrot à la présidence de la chambre, et lui laisser le soin de préparer la dissolution dans l’intérêt du centre gauche, peut-être même de la gauche ?

C’est là le résumé fidèle de tout ce qui se dit, de tout ce qui s’écrit contre le ministère du 1er mars, et pour préparer sa chute dans la discussion des fonds secrets.

Ces accusations sont très graves, et certes, si c’étaient là les vues, les projets du cabinet, s’il était vrai qu’il inspire ou qu’il avoue tout ce que ses amis disent ou écrivent, on pourrait demander un compte plus sévère encore de leur conduite politique aux hommes des centres qui ont aidé au renversement du 12 mai et rendu inévitable l’avénement de M. Thiers. Prévoyaient-ils ce qui est arrivé ? Leur vote aurait été un acte de légèreté bien coupable. S’ils n’ont rien prévu de ce qui est arrivé, qu’ils renoncent donc, une fois pour toutes, à la prétention de passer pour des hommes politiques ; le plus léger soupçon de l’avénement de la gauche aux affaires devait les déterminer à soutenir de toutes leurs forces le ministère du 12 mai, qui était nécessairement conservateur.

Mais tout en blâmant leur conduite, nous croyons qu’ils ont droit à plus d’indulgence. Au fait, ils n’ont jamais cru, ils ne croient pas aujourd’hui encore que M. Thiers prépare l’avénement de la gauche aux affaires, qu’il médite