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REVUE. — CHRONIQUE.

De 1830 à 1835, l’établissement de juillet était, il est vrai, ouvertement menacé, violemment attaqué ; mais toutes les forces gouvernementales se trouvaient réunies, tous les hommes ayant quelque intelligence des conditions du pouvoir se donnaient la main. L’anarchie rugissait aux portes du parlement, du conseil, du pouvoir ; mais il ne lui était pas donné de franchir l’enceinte : des défenseurs nombreux, unanimes, intelligens, dévoués, n’ont jamais manqué aux nécessités des temps ; ils se préoccupaient profondément de la France, de la royauté, de notre avenir, de l’avenir de nos enfans ; ils se préoccupaient aussi de leur propre gloire. Aussi tout se consolidait, tout se raffermissait à vue d’œil : le jeu des ressorts constitutionnels devenait de plus en plus régulier, et tout paraissait annoncer que nous verrions bientôt disparaître ces frottemens un peu rudes et ces légères secousses qui sont inévitables dans toute machine nouvellement réorganisée.

Où en sommes-nous aujourd’hui ? L’ennemi extérieur a posé les armes ; il est fatigué de ses défaites. La France pourrait être forte, calme, prospère, jouir hardiment du présent, et espérer un avenir plus brillant encore. Hélas ! ce n’est là qu’une utopie, qu’un rêve. Le présent décourage ; l’avenir effraie ; tout le monde se demande où l’on va, ce qu’on veut, et nul ne le sait. Toute confiance a disparu ; on est incertain sur toute chose, sceptique sur tous les principes, et, quant aux personnes, il n’est plus de sentiment honorable, digne, dans les rapports d’homme à homme. Il n’y a plus qu’un lieu, des haines communes ; qu’un gage de fidélité, les mêmes intérêts personnels : il n’y a plus qu’un moyen commun d’action, qui est de dénigrer, de calomnier, de renverser son adversaire, de prendre sa place.

Le désordre des esprits a pénétré dans l’enceinte même du pouvoir. Il n’y a pas de majorité dans la chambre, et les ministères sont culbutés par des majorités faites à la main, par des majorités ad hoc ; elles se forment aujourd’hui et renversent un cabinet, elles ne sont plus demain : on dirait une mine qui fait explosion ; on voit le terrain bouleversé, mais où est la poudre qui a produit tout ce ravage ? C’est une armée d’amateurs ; elle enfonce les portes d’un fort et se débande ; elle reviendra à la charge lorsqu’une nouvelle garnison aura remplacé la garnison égorgée. C’est la guerre pour la guerre, sans espoir ni souci de conquête. Je le crois bien. Pour faire des conquêtes, des conquêtes sérieuses, durables, il faut une armée organisée, des intentions communes, des vues générales, des chefs reconnus de tous, un drapeau, un plan, un système ; il faut tout ce que la chambre n’a pas, tout ce qu’elle pourrait, tout ce qu’elle devrait avoir, tout ce que le pays lui demande, tout ce qu’elle aura le jour où elle voudra imposer silence aux coteries et fixer les yeux sur la France.

En attendant, le gouvernement représentatif se trouve attaqué dans sa base. Une chambre n’ayant de majorité que pour renverser, n’en ayant pas une pour gouverner, une chambre qui ne serait ainsi qu’un obstacle pour toutes les améliorations que le pays attend avec une juste impatience, assumerait