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CONSTANTINOPLE.

duire dans ses états quelques améliorations. Selon l’expression de Joseph II, il devait essayer d’inoculer la révolution à ses peuples, déraciner secrètement les honteux abus de la chancellerie, choisir des gouverneurs de provinces probes et capables, sans annoncer à son de trompe que jusqu’ici les pachas avaient acheté à beaux deniers comptans le droit de ruiner l’empire. Les traités récemment faits avec la France, l’Angleterre et la Belgique ouvraient aux produits du pays des débouchés nouveaux, et détruisaient implicitement des monopoles ruineux ; il suffisait de veiller sévèrement à leur loyale exécution pour ranimer le commerce du Levant. Le recrutement militaire s’opérait avec une cruauté inouie ; des ordres formels adressés aux pachas par le séraskier, et au besoin des châtimens exemplaires eussent arrêté cette hideuse exploitation des classes pauvres. La patience est la courageuse compagne de la force. Par une téméraire précipitation à tout vouloir abattre, lorsque rien n’est préparé pour reconstruire, Abdul-Medjid a donné la mesure de sa faiblesse. On ne régénère pas un peuple ex abrupto ; on ne transforme pas ses mœurs, on ne corrige point ses vices, on ne lui crée pas des forces avec une charte ou un hatti-schériff.

Nos journaux, trop enclins à juger les étrangers d’après leurs propres idées, sans examiner si elles sont applicables hors de France, se sont laissés surprendre par ce mot magique de constitution, ils ont répondu à l’appel qui leur était fait. Les feuilles françaises ont assez de force à Constantinople pour ébranler le crédit des courtisans ; sous le règne de Mahmoud, un favori fut disgracié sur la simple lecture d’un numéro de la Revue de Paris. Les ministres de la Porte ont eu sans nul doute pour but, en conseillant à leur maître le hatti-schériff de Gulhamé, de se créer, au préjudice de Méhémet-Ali, une sorte de popularité dans les comités rédacteurs de nos journaux ; ils y sont parvenus. Les articles les plus louangeurs auront été traduits et commentés en plein divan ; mais il est un autre cabinet dont les intérêts auront été mieux servis encore, c’est celui de Saint-Pétersbourg. Le gouvernement russe, avec une habileté machiavélique, se sert au besoin des chartes comme des firmans ; c’est au moyen d’une constitution qu’il a renversé le prince Milosch, dont le noble caractère lui faisait ombrage. Nous souhaitons sincèrement que l’avenir nous démente, mais nous craignons fort que la Russie ne sache profiter du hatti-schériff du 3 novembre, comme d’un nouvel aliment pour ourdir ses intrigues à Péra.

Comment la presse française ne louerait-elle pas à outrance ce