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CONSTANTINOPLE.

sur la place publique ? Telle est la position désespérée des Turcs. Le célèbre hémistiche de Lucain sur Pompée : Stat magni nominis umbra, est la seule explication de leur existence politique. Ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. La question d’Orient n’est donc nullement, au fond, celle de savoir si Abdul-Medjid l’emportera sur Méhémet-Ali, ou s’il subira la loi de cet orgueilleux vassal ; il s’agit de fondre vingt peuples dans une régénération sociale. Or, les Turcs ne semblent destinés qu’à paralyser les progrès du Levant par leur lente agonie. Lorsqu’un peuple a tenu sa place dans l’histoire, lorsqu’il a jeté de vives lueurs sur le monde, il est triste d’apercevoir à ses destinées une fin prochaine et déplorable ; aussi nous faut-il une conviction profonde pour nous décider à écrire ces lignes. En Turquie, le vice est radical et sans remède. Tous les ressorts du gouvernement sont détendus, la corruption gagne tous les jours du terrain, la religion de Mahomet elle-même, malgré les principes élevés qu’elle enseigne, est dans l’état actuel de l’Europe un véritable anachronisme. Elle prêche la guerre, et le monde veut la paix. Jusqu’au dernier sultan, la Turquie a ressemblé à un arbre encore majestueux resté debout par la seule force de son poids ; Mahmoud y a porté la hache, il ne croyait qu’émonder le branchage, il a fendu le tronc, et l’arbre est mort. La presse française, abusée par quelques écrits, a, pendant un temps, grandi outre mesure le génie du sultan ; les ouvrages de MM. de Lamartine et de Raguse auraient dû éclairer l’opinion.

L’histoire tiendra compte à Mahmoud des difficultés insurmontables de sa position, mais elle le fera descendre du piédestal où on a voulu l’élever. Rien dans la conduite de ce prince n’a révélé un homme supérieur, capable d’animer, pour ainsi dire, tout un peuple de son souffle puissant ; supposons d’ailleurs qu’il ait eu le noble cœur et les grandes pensées qu’on lui a prêtés, qui donc pouvait seconder ses efforts ?

Abdul-Medjid, dès ses premiers pas, chancèle sous le poids énorme de l’héritage paternel. Exposé à un grand nombre de périls extérieurs que ne dissiperait point l’accord de Constantinople et d’Alexandrie, le nouveau padischa, par un acte imprudent, vient encore d’irriter les plaies intérieures de son empire. Je veux parler de cet étrange hatti-scheriff de Gulhamé, revêtu par nos journaux du titre pompeux de charte ottomane. La presse française a, pendant quelques jours, fait trêve à ses querelles intestines pour exécuter un bruyant concert d’éloges en l’honneur de ce jeune souverain qui a senti la nécessité de poser lui-même des bornes à sa puis-