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LES MISSISSIPIENS.

SAMUEL.

Je veux qu’il reçoive son congé sur l’heure… Et croyez bien qu’il ne sera pas perdu de vue un instant jusqu’à ce qu’il ait mis le pied sur le navire qui doit l’emmener en Amérique.

JULIE, accablée.

Vous serez obéi !

(On frappe. Samuel va ouvrir. Tandis que le duc entre par la grande porte, la marquise et le chevalier entrent par la petite. Le chevalier fait quelques pas avec impétuosité vers Julie ; puis, voyant Samuel, il s’arrête stupéfait et se retourne d’un air d’interrogation et de reproche vers la marquise, qui essaie de tenir son sérieux, et rit sous cape de temps en temps.)
LE DUC.

Ah çà ! je ne conçois rien à ce qui se passe ici, et je ne sais à quoi vous pensez tous. Comprend-on un jour de noces où toute la famille attend, les mariés dans une maison, tandis qu’ils s’amusent à babiller dans l’autre ?… Monsieur Puymonfort, votre majordome envoie ici message sur message pour vous dire que votre hôtel est plein de monde et qu’il ne sait où donner de la tête ; et vous êtes inabordable…

SAMUEL.

Ma mère est là, qui ne s’en tirera pas mal… C’est une femme qui n’est pas sotte.

LA MARQUISE, à part.

Et qui a une jolie tournure ! (Elle se contient un instant, puis éclate de rire.)

LE CHEVALIER, avec amertume.

Vous êtes fort gaie, ma tante !

(La marquise passe auprès du duc et lui parle bas.)
LE CHEVALIER, bas à Julie.

Que se passe-t-il, Julie ? Mon Dieu !

JULIE, bas.

Vous devez partir à l’instant même, et ne me revoir jamais.

SAMUEL, passant entre eux.

Monsieur le chevalier, je suis tout à vous. Ma femme vient de m’ouvrir son cœur, et de me dire que vous désiriez prendre congé d’elle. Je suis heureux de trouver cette occasion pour vous offrir mes petits services… Vous partez ? Une de mes voitures et plusieurs de mes gens sont à votre disposition… Vous êtes gêné d’argent ? m’a-t-on dit. Mes correspondans ont déjà reçu avis de tenir des fonds à votre ordre dans toutes les villes où vous voudrez séjourner, tant en France qu’à l’étranger.

LE CHEVALIER, avec hauteur.

C’est trop de grâces… Je n’en ai que faire.

SAMUEL, lui offrant un portefeuille.

Vous voulez de l’argent comptant ?

(Le chevalier jette le portefeuille à terre avec un mouvement de fureur.)