Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/849

Cette page a été validée par deux contributeurs.
841
LES MISSISSIPIENS.

de monter en voiture, mademoiselle s’est trouvée mal. Il a fallu la rapporter dans son appartement, où madame la marquise a eu toutes les peines du monde à la faire revenir. Madame la marquise s’inquiétait beaucoup de ne pas voir arriver monsieur le duc ; elle me disait : Deschamps, aussitôt que monsieur le duc sera au salon, faites-le monter ici. Et puis elle ajoutait, comme se parlant à elle-même : Ah ! mon Dieu ! il n’y a que lui qui ait un peu de tête ici ! Enfin, mademoiselle a repris courage, et elle s’est laissée emmener ; mais madame la marquise m’a ordonné, en partant, de prier monsieur le duc d’aller la rejoindre à l’église…

LE DUC, s’asseyant.

C’est çà !… je vais aller m’enrhumer dans vos diables d’églises ! (Se parlant à lui-même en se frottant les jambes.) La chère marquise croit que j’ai toujours vingt ans… C’est bien assez qu’il faille avaler la messe du roi quand on va faire sa cour… Oh ! pardi, j’ai de la dévotion par-dessus les yeux !

DESCHAMPS.

Monsieur le duc aura la bonté de dire à madame la marquise que j’ai obéi à ses ordres, car elle me gronderait beaucoup si j’y manquais.

LE DUC.

Te gronder, toi, Deschamps ? est-ce qu’on se fâche avec un vieux serviteur comme toi ?

DESCHAMPS.

Eh ! eh ! quelquefois, monsieur le duc, depuis la mort de monsieur le marquis !

LE DUC.

Eh ! eh ! monsieur Deschamps, vous persiflez, je crois !… Il y a long-temps que je ne t’ai rien donné… Tiens, vieux coquin !


Scène ii.


LE DUC, seul.

Ces canailles-là se mêlent d’avoir de l’esprit ! Ah çà, pourvu que la petite n’ait pas fait quelque nouvelle sottise avec sa belle passion… Baste ! elle se consolera comme se consolent toutes les femmes à présent, avec des parures, de beaux équipages et un grand train de vie… Autrefois les femmes valaient mieux ; c’est un fait, elles nous aimaient quelquefois pour nous-mêmes ; pas souvent, mais enfin çà se voyait, tandis qu’aujourd’hui il n’y a pas un regard qu’il ne faille payer au poids de l’or… La Maintenon, et avec elle la dévotion, a introduit cet usage… Aussi il fait cher vivre à présent… Mais qu’y faire ?… Il faut bien marcher avec son siècle.