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LE THÉÂTRE EN ITALIE.

permit de me répondre qu’il n’y avait là rien qui dût m’étonner ; que je venais du pays du progrès, d’un pays où la règle du théâtre Stentarello présidait non pas seulement au drame, à la grande et à la petite littérature, mais à tout.

Il y avait peut-être du vrai dans la remarque du membre de la Crusca, et je me contentai d’en sourire. Un de mes amis, plus patriote sans doute, qui se trouvait là, ne prit pas la chose avec le même sang-froid ; mais, relevant lestement le gant, il répondit au cruscante qu’il reconnaissait bien là les préjugés de ces gens rétrogrades qui, eux, semblaient avoir adopté une devise toute contraire à celle du progrès, et qui, depuis Dante et Pétrarque, s’étaient toujours montrés de moins forts en moins forts. L’innocent académicien comprit sans doute cet argument ad hominem, car il ne répliqua pas, et, nous tirant un beau salut, il fit comme Stentarello dans les momens de danger, il tourna prudemment les talons.

Ces messieurs de la Crusca, et en général les puristes de Florence, sont ennemis déclarés du pauvre Stentarello. Ils n’en parlent qu’avec dédain et colère, et c’est moins son inconduite que l’incorrection de son langage et son faible pour les patois qui motivent leur haine. Stentarello en effet est plutôt Toscan que Florentin. Vous le rencontrerez à Pérouse, à Arezzo, à Pistoie, à Sienne ; il s’est même naturalisé chez les Luquois, les Pisans et les Bolonais, ses voisins, et il parle à merveille la langue accentuée du peuple de ces villes, dont on le croirait citoyen. Mais si le langage varie, les actions sont les mêmes. À Bologne, Stentarello a pris quelque peu les allures de ses compagnons de Venise, de Milan et de Turin : Arlequin, Meneghino et Gerolamo, avec lesquels il a d’ailleurs quelques liens de parenté. Ce ne sont en effet que des variétés d’un même type, que les diverses faces d’un même caractère, modifié par l’entourage et le climat ; ce ne sont pas des types différens. L’étude de ces nuances serait fastidieuse et sans grand résultat. Nous ne nous y arrêterons donc pas ; passant à des variétés bien tranchées de la nombreuse famille des bouffons italiens, nous ferons connaissance une autre fois avec Cassandrino, l’aimable et coquet vieillard romain, et avec l’héroïque Pulcinella, ce joyeux et turbulent héritier des capitans napolitains.


Frédéric Mercey.