médire du prochain, le pauvre diable ne sent pas sa propre souffrance, et du moment qu’il trouve un bon mot ou qu’il fait un conte, il oublie qu’il est à jeun, que sa belle le trompe ou le bat, et qu’il n’a pas un paoletto.
Mais voyons-le d’abord père de famille.
Stentarello a eu une jeunesse orageuse ; il a séduit la fille d’un négociant de Florence et il l’a épousée. Cette fille avait de la fortune ; cependant comme Stentarello est joueur et qu’il aime le plaisir, il a bientôt mangé sa dot ; et quand il se trouvera sans le sou, il se campera à la porte d’une église, pleurant à chaudes larmes, car ce jour-là son courage et sa gaieté l’ont abandonné. Il paraît si malheureux que des passans s’intéressent à son sort et lui demandent ce qu’il a. Je n’ai rien, répond Stentarello, qui, tout triste qu’il est, ne peut perdre l’habitude de faire un jeu de mots. — Eh bien ! si vous n’avez rien, pourquoi pleurez-vous ? — Et les gens charitables qui tiraient leur bourse la rengainent et lui tournent le dos. Stentarello, qui voit que l’esprit ne lui a pas réussi, prend un grand parti ; il se met à voyager, espérant faire fortune en courant le monde. Il laisse sa femme sans argent et sans enfans, lui donnant sa bénédiction pour toute ressource et la recommandant à la Providence.
Plusieurs années se sont écoulées. Stentarello, qui s’est fait tour à tour médecin, avocat, condottiere et colporteur, et qui n’a fait fortune dans aucun de ces métiers, revient à Florence et rentre au logis. Il avait laissé une masure délabrée, il trouve en place une jolie maison. Stentarello s’étonne : — Suis-je bien chez moi ? — Il appelle sa femme ; celle-ci accourt. Elle est vêtue avec élégance, car, de son côté, elle a su mieux employer le temps que son mari, et la galanterie a été pour elle un métier fort profitable. Stentarello la trouve bien autrement belle qu’avant son départ. — Comme te voilà jolie et bien habillée, lui dit-il en lui prenant la taille. — Pourquoi t’en étonnes-tu ? lui répond celle-ci en riant ; tu m’avais recommandée à la Providence, et c’est à la Providence que je dois ces beaux habits. — Et cette jolie maison, qui l’a décorée ? — La Providence. — Et ces beaux meubles, qui les a donnés ? — La Providence. — Stentarello est dans l’enchantement ; à chacune de ces réponses de sa femme, il sautille, se frotte joyeusement les mains et paraît fort satisfait. On lui sert un excellent repas, il mange comme un ogre ; et quand sa femme lui répond que c’est à la Providence qu’il doit un si bon dîner, il ne peut plus se contenir et chante la Providence le verre à la main. Comme il est en gaieté, il veut embrasser sa femme, qui le repousse