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n’est porté à admirer son talent ; et si j’ai avancé que par suite de son caractère impérieux, de son désir ardent de popularité, l’influence qu’il exerce actuellement n’est plus aussi utile à l’Académie qu’elle l’a été autrefois, c’est que je le crois capable d’entendre ces paroles et de se vouer au progrès des hautes sciences avec un zèle égal à celui qu’il a montré jusqu’ici pour la propagation des connaissances élémentaires. Que M. Arago reprenne sérieusement ses travaux, qu’il laisse à chacun la liberté de ses opinions, et il n’y aura jamais assez d’éloges et de couronnes pour lui ; mais si, écoutant de perfides conseils, il voulait abuser de son ascendant pour imposer toujours sa volonté, pour faire dominer de plus en plus la science populaire, alors tous ceux qui aiment la France se verraient à regret forcés d’élever la voix pour avertir le public des dangers qui menacent les hautes sciences et la gloire nationale. Au reste, c’est surtout M. Arago qui maintenant est entouré de dangers, car l’abus du pouvoir finit toujours par amener une réaction violente où l’injustice marche à la suite de la révolte. Et l’on peut affirmer que, malgré ses succès actuels, s’il ne se hâte de changer de système, avant peu il tombera, et qu’il se verra même privé du degré d’influence et de réputation que ses talens devaient lui assurer. L’expérience et l’histoire sont là pour justifier cette prédiction.

Vous ne vous attendez pas sans doute, monsieur, à trouver dans cette lettre l’exposé des travaux de tous les membres de l’Académie, car un tel exposé ne serait rien moins que l’histoire des sciences en France depuis la fin du XVIIIe siècle. D’ailleurs, ce ne sont pas les travaux individuels que vous voulez étudier, c’est l’ensemble des connaissances humaines qui vous intéresse et dont vous voulez suivre les progrès. Toutefois, comment résister au désir de vous nommer quelques-uns au moins de ces savans illustres qui honorent notre siècle et l’humanité ? Et d’abord ce Gay-Lussac, grand chimiste et grand physicien, dont tous les travaux sont des chefs-d’œuvre, et qui, malgré sa modestie, jouit d’une si belle gloire. Qui n’a pas admiré la parfaite urbanité avec laquelle il combattit les opinions de Davy sur les points les plus élevés de la science ? Il a semblé seul ne pas s’apercevoir qu’il avait vaincu l’illustre chimiste anglais. Et ce Thénard, qui, au mérite de contribuer personnellement aux progrès de la philosophie naturelle, a su joindre celui encore plus rare de faire des élèves qui sont devenus à leur tour des maîtres célèbres, et de les signaler avec une affection paternelle à l’estime du pays. C’est à MM. Thénard et Gay-Lussac, dont les noms se trouvent si souvent