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LES SCIENCES EN FRANCE.

aucune démonstration et sous la forme de récit. Le talent du professeur est sans doute admirable, mais la dose de science qu’il communique à ses auditeurs n’est pas proportionnée à ce talent, et d’ailleurs on doit regretter que M. Arago ne se montre pas toujours suffisamment pénétré de la dignité du professorat. Les habitués de l’Observatoire se rappellent encore le jour où dans une de ses leçons ce savant astronome vint à parler subitement d’un gigot de mouton. L’auditoire émerveillé ne comprenait rien à cette constellation d’un nouveau genre ; mais, à la séance suivante, le mystère fut expliqué, et l’on apprit que ce comestible n’avait apparu au cours d’astronomie que par suite d’un pari fait par le professeur avec l’une de ses plus spirituelles élèves, de parler à ses leçons d’un sujet quelconque qu’elle voudrait bien lui indiquer.

M. Arago, qui depuis tant d’années n’a pas su trouver le temps d’achever les belles recherches scientifiques qu’il avait entreprises, s’est occupé de rédiger, pour l’Annuaire du Bureau des longitudes, des notices populaires où brille un remarquable talent d’exposition, mais qui ne méritaient certainement pas d’exercer un esprit aussi distingué. Le désir de captiver sans cesse l’attention, n’importe à quel prix, lui a fait accueillir dernièrement, avec un peu trop de facilité peut-être, des anecdotes scientifiques qui ne semblent pas reposer sur des fondemens assez solides ; et comme d’ailleurs son ardeur pour la popularité n’a jamais pu stimuler son activité, il en est résulté d’abord qu’au grand déplaisir de l’éditeur, un almanach où sont prédites les éclipses ne paraît souvent qu’après le milieu de l’année, lorsque les prédictions astronomiques qu’il contient ont pu se vérifier d’avance, et que, d’autre part, n’ayant pas le temps de remonter toujours aux sources et de faire lui-même l’histoire, M. Arago a été forcé de la prendre quelquefois toute faite dans les livres des autres, ce qui l’a exposé à tomber dans plusieurs inexactitudes, et l’oblige à rester dans le vague lorsqu’il doit citer quelque ouvrage. On dit que, vers la fin de sa vie, le pauvre M. Salverte parlait souvent de son ami M. Arago, qui, disait-il, avait emprunté sans le citer, à son Histoire des Sciences occultes, des faits piquans sur l’électricité et sur les machines à vapeur.

Au reste, les savans pardonneraient plus facilement à M. Arago son goût pour la popularité, s’il avait à leurs yeux toutes les qualités nécessaires à la place qu’il occupe à l’Académie. Mais ce qui lui nuit le plus et ce qu’il s’efforce en vain de cacher, c’est que, secrétaire perpétuel pour les sciences mathématiques, il n’est guère en état d’ap-