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de plus des remarques très judicieuses sur l’Académie, sur les changemens que la publicité y avait introduits, et sur les devoirs de la presse, qui doit savoir défendre l’indépendance des corps savans et les intérêts de la science envers et contre tous. L’effet fut tel, qu’il dicta à un des confrères de M. Arago la démarche la plus singulière qu’on puisse imaginer. À propos d’un écrit où M. Arago était seul en cause, l’académicien dont il s’agit adressa une provocation à M. Donné, et, pour lui prouver qu’il n’y avait à l’Académie aucune personne capable de disposer de sa voix suivant les intentions de M. Arago, il se montra prêt à donner sa vie pour lui. Raisonnement fort peu logique, et auquel M. Donné répondit que d’abord il ne concevait pas que M. Arago et les siens voulussent entraver le droit de libre examen dans tout ce qui est soumis au public, et que d’ailleurs il ne pensait pas que, si M. Arago se trouvait offensé, il pût permettre à personne de prendre sa place. Il paraît qu’on a senti la faute qu’on avait commise, et les choses n’ont pas eu d’autres suites ; mais il faut savoir gré à M. Donné, qui est dans la force de l’âge, d’avoir montré à ses adversaires ce que doit être la véritable liberté de la presse, car, en France, il faut beaucoup plus de courage pour laisser tomber une provocation que pour en accepter les suites. Du reste, ce n’est pas la première fois que l’on a dit que les partisans de M. Arago ne craignaient pas de faire un appel à la violence pour préserver à tout prix leur chef des attaques qu’ils réprouvent moins quand elles ont un autre but. On raconte, en effet, qu’un de nos artistes les plus spirituels, ayant fait une charge de M. Arago, qu’il gardait chez lui sans l’exposer au public, se trouva assailli dans son propre atelier, et forcé, l’épée sur la gorge, de détruire la malencontreuse caricature. Ce fut bien dommage, car ceux qui l’ont vue assurent qu’elle aurait eu beaucoup de succès.

Ces dissentimens avec la presse et surtout avec un journal grave et répandu comme les Débats, ont porté un rude coup à M. Arago, car tous les pouvoirs qui s’insurgent contre le principe de leur élévation affaiblissent leur base et sont exposés à chanceler ; et, comme pour M. Arago c’est la presse plutôt que les grands travaux scientifiques qui a fait sa force et sa réputation, le célèbre secrétaire perpétuel aurait dû à tout prix tâcher de prévenir une telle rupture. Il est vrai que les journaux républicains sont arrivés à son secours, mais il a été mal défendu et seulement pour acquit de conscience ; l’avantage est resté au Journal des Débats. D’ailleurs, on ne saurait croire qu’il s’agisse ici d’une affaire de parti, puisque c’est dans les Débats